Quand on travaille en journalisme culturel, les suggestions de spectacles, de livres et de films font partie intégrante de notre quotidien professionnel. Mais quand on s’appelle Émilie Perreault, les choses vont beaucoup plus loin. Quatre ans après avoir publié Faire œuvre utile, une courtepointe de témoignages d’artistes racontant comment leur œuvre a bouleversé la vie de certains humains, l’autrice publie Service essentiel (Cardinal), un vibrant plaidoyer sur les effets de la culture sur notre santé émotive, mentale et physique. Pour l’occasion, nous l’avons invitée à sortir son calepin de prescriptions littéraires.

Aux yeux d’Émilie Perreault, les livres sont à la fois des objets d’émotions, de savoir et de beauté. Ce n’est pas pour rien que sa bibliothèque est classée par… couleurs. « Ce n’est pas très logique, dit-elle en rigolant. Il faut une grande mémoire visuelle des pages couvertures pour les retrouver, mais je trouve ça tellement beau. Mes livres reproduisent un genre d’arc-en-ciel. Je me suis inspirée de ce que faisait déjà Émilie Villeneuve, éditrice chez Cardinal. »

C’est justement avec cette maison d’édition, réputée pour ses ouvrages aussi beaux que fascinants, que l’autrice vient de publier Service essentiel. Une façon pour elle d’encourager les gens à faire de la culture une habitude de vie non négociable, comme ils sont plusieurs à le faire avec le sport. « Parfois, ça ne nous tente pas d’aller jogger, mais une fois qu’on a terminé, on sent à quel point ça nous fait du bien. La lecture, c’est exactement la même chose : c’est parfois décourageant et exigeant, mais quand on prend l’habitude de lire, on constate qu’on s’investit émotivement encore plus que devant une émission ou un film. Cet investissement a un impact direct sur notre empathie dans la vie. On gagne sur le plan cognitif. Notre esprit critique se raffine. Il y a plusieurs études scientifiques sur le sujet. »

La journaliste milite d’ailleurs pour un changement de paradigme. « Certaines personnes prennent le temps de lire seulement en vacances. Pourtant, si c’est une activité qu’elles privilégient durant leur congé, c’est signe que ça leur fait du bien, alors pourquoi ne pas s’offrir ce petit bonheur tous les jours? Il faut reconnaître l’influence de la lecture sur notre bien-être, au même titre qu’une saine alimentation, un sommeil de qualité ou une activité physique régulière. »

Un livre en forme d’abri
Pour plusieurs, la lecture est également un refuge contre la noirceur du monde. Une perception que partage Émilie Perreault à sa façon. « Je ne pense pas que j’achète consciemment un livre dans l’espoir d’aller mieux ensuite. Pour moi, le bienfait principal de la lecture, c’est l’évasion, quand je perds la notion du temps et que j’oublie presque où je suis, en me plongeant complètement dans quelque chose. »

Agissant ainsi peu importe que ses humeurs soient nuageuses ou ensoleillées, elle croit toutefois que les mots des autres l’ont souvent réconfortée durant sa jeunesse. « Quand j’étais petite, après une grosse chicane avec une amie, ma mère me suggérait d’aller à la bibliothèque. Comme je devais m’en tenir à huit livres, je les choisissais minutieusement. J’étais plongée dans l’ambiance de la biblio. L’endroit devenait mon refuge. »

Maintenant qu’elle est adulte, les tablettes de livres qu’elle analyse avec avidité sont celles des librairies. « L’achat de livres est LA case de mon budget qui n’a pas de fond. Je ne m’impose aucune restriction. J’achète souvent de façon impulsive et compulsive. J’entre avec une idée en tête, mais tant qu’à être là, je me laisse porter et j’en ramasse plusieurs. »

Répandre la bonne nouvelle
Elle peut ainsi renflouer les étagères de sa bibliothèque arc-en-ciel, qui se vide au fur et à mesure qu’elle se remplit. « Mon plus grand plaisir de lecture, c’est de pouvoir prêter mes livres. Quand une œuvre me touche, je ne peux pas rester seule avec ce bonheur-là. Pendant que je lis, je vais texter une amie pour lui dire que le livre crie son nom. »

Le bouquin qu’elle a offert le plus souvent? Assurément Shuni de Naomi Fontaine, un livre qu’elle aimerait voir entre les mains de tous les citoyens. « Pour la plupart des gens, c’est impossible de voir le monde à travers les yeux d’une Autochtone, mais son livre nous permet de faire ça. Elle écrit une lettre à une amie qui veut revenir dans sa communauté. Puisque Naomi Fontaine a vécu dans les deux mondes, elle est la meilleure ambassadrice pour créer des ponts. Sa plume est hyper inclusive et bienveillante. »

Si la lecture réussit parfois à lui faire voir le monde autrement, il faut dire que sa propre perspective sur la lecture a changé au cours des dernières années. D’abord, parce qu’elle a longtemps eu la tâche — pas du tout ingrate — de lire des tonnes de livres pour le travail. « Quand je devais livrer mes chroniques culturelles quotidiennes à la radio, mon rapport à la lecture n’était pas du tout le même. J’avais toujours l’impression de devoir lire un livre à sa sortie, plutôt que de laisser monter en moi l’envie de le lire. Ces temps-ci, je retrouve le plaisir de lire pour mon bonheur personnel. »

Autre facteur d’influence : sa relation avec le poète et auteur-compositeur-interprète Benoit Pinette, alias Tire le coyote. « C’est vraiment l’fun d’être en couple avec un grand lecteur. On lit parfois ensemble. Je n’ai jamais l’impression de lui voler un moment pour lire. » Il faut dire que leur histoire a débuté grâce à leur passion pour la lecture. « Un jour, je lui ai dit candidement que je ne connaissais pas la poésie, que j’avais du temps durant la pandémie pour découvrir et que j’aimerais avoir ses suggestions. Il n’a pas du tout jugé la journaliste culturelle qui ne connaît pas la poésie. Il m’a envoyé des suggestions dans plusieurs directions. De fil en aiguille, on s’est mis à parler de nos lectures et nous sommes tombés amoureux. »

Preuve comme quoi les prescriptions littéraires sont bonnes pour le cœur. Au propre comme au figuré.

Photo : © Marjorie Guindon

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