Elle a relevé avec brio le difficile défi de revêtir les habits roses du personnage de Passe-Partout au petit écran, marquant ainsi l’imaginaire d’une génération supplémentaire. Élodie Grenier, comédienne qu’on a aussi vue dans la pièce Qui a peur de Virginia Woolf? et qu’on verra dans le film Flashwood, nous en dit un peu plus sur elle et les lectures qui peuplent son imaginaire.

« Dans la bibli-bibliothèque, y a des histoires qui font la fête… » : la ritournelle vous est probablement familière si vous écoutez les nouveaux épisodes de Passe-Partout. Cette comptine, qui sert à choisir dans quel livre le personnage plongera avec Grand-Mère (psst! les livres existent d’ailleurs pour vrai, chez Bayard, et sont illustrés par Jean-Paul Eid!), nous donne à voir une grande bibliothèque colorée, débordante de choix attrayants. Chez Élodie Grenier, la bibliothèque déborde également de choix attrayants — comme vous le découvrirez ci-dessous —, mais met surtout en évidence les ouvrages qui l’ont marquée, ou pour lesquels elle a un attachement particulier. Mais, les livres ne trônent pas que dans ce mobilier : « Chez moi, les livres font partie intégrante de la décoration. J’aime bien qu’il y ait des livres qui traînent un peu partout, surtout des livres de photographie ou artistiques qui sont agréables à feuilleter, peu importe le moment. »

Et, parce que l’adoption d’une bibliothèque à l’âge adulte part souvent d’un premier émoi de jeunesse, nous souhaitions connaître ce qui, petite, a marqué l’imaginaire d’Élodie Grenier : jeune femme née en 1991, elle est tombée comme bien d’autres lecteurs dans la potion Harry Potter, dont elle a particulièrement aimé le quatrième volet, qu’elle a lu en vitesse à 8 ou 9 ans : « Je me souviens d’avoir vécu un grand deuil une fois l’avoir terminé… J’ai soudainement regretté de l’avoir dévoré aussi rapidement, mais c’était plus fort que moi! » Si on recule encore plus loin dans son enfance, c’est la série des Martine qui lui revient en tête : « Ma mère se nomme Martine, donc j’avais l’impression d’avoir un lien spécial avec elle. Mon livre préféré de la collection était (sans grande surprise) Martine fait du théâtre. Ses amis et elle avaient trouvé un vieux coffre dans le grenier avec plein de costumes d’époque et ils avaient fait une pièce de théâtre avec ça. J’adorais ce livre! »

Nous ne saurons jamais si c’est grâce aux illustrations de Marcel Marlier que nous pouvons voir le talent d’Élodie Grenier sur les planches de nos théâtres, mais nous savons que le théâtre se glisse toujours au creux de ses lectures : « Au Conservatoire, j’ai lu une grande partie du répertoire dramaturgique classique, mais en ce moment, j’aime bien lire ce qui se fait proche de nous. Il m’est arrivé quelques fois d’aller voir une pièce de théâtre et d’aller acheter la pièce publiée par après, pour la relire. Ça a été le cas par exemple avec Os : La montagne blanche de Steve Gagnon. C’est un monologue qui m’a énormément bouleversée ; la langue y est tellement importante que j’ai eu envie de prendre le temps de relire chaque mot en achetant la pièce. »

Par ici ou par là? Celui-ci ou celui-là?
Le lecteur qui voudra circonscrire les goûts d’Élodie Grenier en une seule épithète aura le choix entre éclectique ou erratique. « Je viens tout juste de terminer Il préférait les brûler de Rose-Aimée Automne T. Morin, et là je viens de commencer Trop-plein de Martin Talbot. En parallèle, je lis le recueil de poésie de Daphné B. Delete, et Sapiens : Une brève histoire de l’humanité de Yuval Noah Harari. » Une autofiction signée par l’ex-rédactrice en chef d’Urbania sur un père plus du genre tyran émotif que plus-fort-du-monde; un premier roman qui décortique quarante-trois souvenirs; une poésie qui touche à la fois à la filiation maternelle, à la peine d’amour et à l’esprit du voyage; ainsi qu’un essai qui est devenu un véritable phénomène et qui inclut pourtant une dose monumentale d’intelligence et de réflexions pertinentes : bref, éclectique, disions-nous! « J’aime varier, je dirais, explique-t-elle. Plus jeune, j’ai eu une passe roman policier, puis une passe horreur. En ce moment, j’aime lire sur la psychologie et l’histoire, mais j’ai un petit faible pour les autofictions. » D’ailleurs, elle a trouvé la biographie de Patti Smith, Just Kids, extrêmement intéressante, et elle lui a permis d’en apprendre davantage sur les artistes qui se sont retrouvés à New York dans les années 60-70. Mais ses réels coups de cœur des dernières années restent La femme qui fuit d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Rien ne s’oppose à la nuit de Delphine de Vigan. « Dans les deux cas, l’autrice retrace l’histoire d’une femme qui a eu une grande influence dans sa propre vie », appuie-t-elle.

Mais avec des goûts aussi variés, comment fait-elle ses choix de lectures? Elle demande certes conseil à ses amis, notamment sur Facebook, afin de se faire une idée des titres qui ressortent le plus. Mais elle avoue adorer également fouiner dans les librairies. « C’est probablement une de mes activités favorites », ajoute celle qui, plus jeune, passait beaucoup de temps à la bibliothèque. « Maintenant, j’aime bien acheter mes livres pour encourager les librairies, mais aussi pour pouvoir les prêter par la suite. Il y a quelque chose qui m’a toujours beaucoup touchée dans ces commerces. Je crois que c’est le fait qu’on y retrouve plein de gens d’âges et de milieux différents qui partagent tous un même intérêt et un même respect pour les livres. »

Se vider la tête
Notre libraire d’un jour nous confie avoir besoin d’avoir la tête vide pour se plonger dans un livre. Lorsqu’elle ne revêt pas le costume de Passe-Partout durant une longue période, par exemple. « Aller au chalet sans livres, c’est inconcevable », nous dit-elle. Et en vacances, elle nous avoue avoir un faible pour les romans à intrigues, « question de bien me faire aspirer par l’histoire et de me vider la tête au maximum! ». Parlant de chalet et de roman à intrigues… l’un des romans qui l’a le plus effrayée est Jessie, de Stephen King : « Je me rappelle que ce roman m’a tout particulièrement fait passer un effroyable moment! En fait, c’est un huis clos dans un chalet perdu dans le bois. Une femme est menottée à son lit et durant la nuit, elle croit voir et entendre quelqu’un ou quelque chose entrer dans la chambre. Elle a du mal à différencier ce qui est la réalité et ce qui est le fruit de son imagination. Je m’assurais de le lire en plein jour, quand je n’étais pas seule à la maison, mais il m’est arrivé de faire des cauchemars par rapport à ce livre-là. Un livre d’horreur, pour moi, c’est presque plus épeurant qu’un film parce que les images qu’on se crée en lisant nous hantent plus longtemps! »

Mais on ne peut pas dire qu’Élodie Grenier ait froid aux yeux pour autant. La preuve : si elle avait la chance de rencontrer une auteure, c’est Margaret Atwood qu’elle choisirait, fascinée par le fait que La servante écarlate, trente-cinq ans plus tard, soit toujours autant d’actualité : « J’aimerais bien qu’on jase de l’actualité et de sa vision du futur. » Et qui sait ce que la grande dame des lettres canadienne aurait à dire à ce sujet…

Photo : © Éva-Maude TC

Publicité