Daniel Vézina : Les choix du chef

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    Daniel Vézina lit des livres de cuisine comme on lit des romans. Incursion dans la bibliothèque gourmande d’un chef pour qui il n’y a pas d’aussi gratifiant plaisir que de transmettre ses connaissances. 

    Ce n’est pas un hasard si Daniel Vézina pose sur la une de ce magazine avec un exemplaire de La cuisine raisonnée, bible de la popote québécoise d’abord publiée en 1919, puis rééditée en 2008 sous une couverture délicieusement kitsch par les éditions Fides, qui avaient bien flairé les nostalgiques effluves de notre engouement pour la bouffe de grand-mère. L’ouvrage en question est en effet tout désigné pour qui aspire à mitonner un pouding chômeur ou un rôti de porc parfaitement traditionnel. « Je tenais à avoir ce livre-là dans les mains pour la photo, parce que c’est un document très riche, explique le chef propriétaire du Laurie Raphaël. Quand j’ai commencé à étudier la cuisine, on riait de La cuisine raisonnée. C’est un livre qui avait été conçu pour les ménagères. Heureusement, ça revient à la mode. On se rend compte que, comme il y a des incontournables qu’il faut avoir lus en littérature, il y a des incontournables en matière de livres de cuisine avec lesquels il faut travailler. »

    Mes classiques préférés, le cinquième titre récemment paru du coanimateur de la populaire compétition télévisée Les chefs! s’inscrit dans le même esprit, celui de la transmission des connaissances de base, celles-là mêmes qu’il enseigne à sa brigade à chaque fin d’émission. « Avant de réinventer un bœuf bourguignon, il faut savoir comment préparer un bœuf bourguignon classique, insiste-t-il. Un bœuf bourguignon, ça doit goûter le bœuf bourguignon, pas le poulet chasseur. En suivant ces recettes-là de A à Z, tu apprends aussi en même temps toutes les techniques de base dont tu as besoin. Et puis si tu te demandes comment la farcir, la maudite dinde de Noël, tu vas l’apprendre là-dedans! »


    Comme des romans
    Daniel Vézina se rappelle avoir connu de grands bonheurs de lecture en compagnie d’Alexandre Jardin (« J’aime sa folie »), d’Alessandro Baricco et de Paulo Coelho. « Paulo Coelho est venu manger dans mon restaurant il y a quelques années et je lui ai offert mon deuxième livre, Ma route des saveurs au Québec. J’avais rédigé une très longue dédicace, qui couvrait la page de garde au grand complet, mais je me disais, avec 40 millions de lecteurs, Paulo Coelho, peut-être qu’il va s’en foutre de Daniel Vézina. Le gars a lu toute la dédicace pendant que les six personnes avec qui il était attablé le regardaient en silence. Quand il a fini de lire, il s’est levé, m’a pris dans ses bras et m’a serré fort. Les larmes ont coulé sur mon visage. »

    C’est armé de La cuisine du marché de Paul Bocuse, pape de la cuisine française, que le cuistot-vedette s’est d’abord colleté aux fourneaux. « J’ai aussi beaucoup potassé dans la collection “Les recettes originales de…” de Robert Laffont, à laquelle ont contribué les Michel Lorain, Michel Guérard, Roger Vergé et Joël Robuchon. Si tu voyais mes exemplaires, tu comprendrais à quel point je les ai lus et relus. Ils sont tout déchirés, les couvertures sont arrachées, c’est de toute beauté. J’avais 22-23 ans et je lisais à la chandelle pour ne pas déranger ma blonde. » Lire? Vous lisez des livres de recettes? « Oui, oui, je lis des livres de recettes comme on lit des romans! »

    Parmi les arrivages récents, le propriétaire d’une bibliothèque de près de 1 000 livres de cuisine (« Je ne compte même pas ceux que j’ai au chalet ») confie sa grande admiration pour Toqué! Les artisans d’une gastronomie québécoise, le beau livre que réclamaient depuis des années les gourmands au parrain de la gastronomie québécoise, Normand Laprise. « Mon grand ami Normand et moi, on se suit depuis trente ans. On ne cuisine pas de la même manière, mais on a la même philosophie quant au respect du produit et à notre relation avec les producteurs. Son livre présente simplement la philosophie derrière sa cuisine, sans le tape-à-l’œil qui est le lot de plusieurs livres de cuisine aujourd’hui. »

    Mais ne comptez pas sur Daniel Vézina, malgré ce léger reproche, pour se désoler de l’abondance de livres de cuisine sur les rayons des librairies, à l’instar de tous ces grincheux avec qui nous n’aimerions pas être contraint à partager un repas. « On a une diversité de livres de cuisine au Québec, on est vraiment chanceux. Un bon livre de cuisine, c’est celui qui te convient et qui te plaît, c’est tout. » 

     

    Crédit photo : © Guillaume Simoneau

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