Daniel Lemire : Lire est le propre de l’homme…

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Quoique accaparé par la commémoration de ses vingt ans de carrière et légèrement préoccupé par une panne d'électricité le jour de notre entretien téléphonique, l'humoriste Daniel Lemire a accepté notre invitation à causer des lectures qui l'ont marqué. On savait que cet éternel pince-sans-rire, qui fut porte-parole de la Journée mondiale du livre et du droit d'auteur il y a quelques années, était un lecteur avide. On le découvre lecteur aventureux, aux goûts assez variés, avec une nette prédilection pour la satire sociale…

Votre intérêt pour le livre s’est-il manifesté dès l’enfance ?

Oui. Il y a eu des périodes d’accalmie : adolescent, en plus des hormones qui me détournaient des livres, j’étais souvent dans un état second peu propice à la lecture (rires.) Quand j’étais jeune, le choix n’était pas très vaste, d’autant plus que je suis issu d’un milieu très modeste ; à la maison, il y avait très peu de livres. Par contre, j’allais à la bibliothèque régulièrement. J’ai d’abord lu de la bédé (Tintin, etc.) avant de passer aux Bob Morane, que j’aimais pour l’exotisme, les descriptions de pays étrangers. Évidemment, à la longue, on sentait la recette. J’aimais aussi la série Beagle, avec ce héros pilote de guerre un peu espion.

Je me suis laissé dire que vous étiez encore aujourd’hui friand de BD…

Un peu moins qu’avant. Il y a encore des séries qui m’intéressent, comme les albums de Marjerin ou encore ceux de Dupuy et Berberian (la série Monsieur Jean). Depuis un moment, je suis davantage attiré par les albums de gags, ceux de Gary Larson, par exemple. J’ai toujours beaucoup aimé les comic-strips : Andy Capp, B.C., The King of Id, l’école de Mad Magazine, l’école de Pilote avec Gotlib et les autres. Je dois avouer que les albums de bandes dessinées qui racontent une longue histoire m’accrochent moins…

Après cette accalmie que vous évoquiez, quels livres vous ont ramené à la lecture ?

Je me rappelle qu’un des premiers livres que j’ai lu quand je m’y suis remis, c’est Le Capitaine Fracasse. J’aimais beaucoup l’ironie de Gautier. Dans un autre genre, je me suis plongé dans Kerouac, les romans de ses débuts : Sur la route, Les Clochards célestes. Kerouac, c’était le rêve, la description d’une époque mythique pour les gens de ma génération. Après, j’ai découvert un tas d’auteurs qui tombaient pile dans mes cordes : Tom Sharpe, P. G. Wodehouse, et beaucoup d’autres écrivains associés à l’humour. Le premier livre de Sharpe que j’ai lu, le troisième volet de la série Wilt, m’a tellement fait rire que je me suis vite tapé la collection complète.

Vos préférences me semblent aller à des livres où l’on trouve cette constante présence de l’humour; peut-on penser que ces œuvres ont nourri votre propre travail d’humoriste ?

Pas forcément. J’aime beaucoup Luis Sepulveda ou Jim Harrison — quel écrivain ! Quant à savoir dans quelle mesure mes lectures ont nourri mon travail, elles l’ont sûrement fait, mais je ne pourrais dire à quel point. Si je compare Wodehouse à Sharpe, j’avoue que le premier est plus léger, mais sa série Jeeves m’a néanmoins appris beaucoup sur la construction d’un récit, sur la manière d’amener un dénouement. Sharpe, de son côté, ne fait pas dans la dentelle, il travaille plutôt à la chainsaw ! Parallèlement à cela, j’ai lu avec bonheur les premiers livres de William Boyd (Un Anglais sous les Tropiques, Nouvelles Confessions), et je suis présentement en train de lire son plus récent (À livre ouvert), où il renoue avec son style original. Autrement, parmi mes récentes lectures, j’ai adoré La Part de l’autre d’Eric-Emmanuel Schmidt. Et je lis aussi quelques polars : Michael Connelly, même s’il me paraît s’être essoufflé depuis ses premiers, Lawrence Block, Donald Westlake…

Encore là, à cause de cet humour au vitriol… ?

Les livres de Westlake ne sont pas toujours drôles, mais c’est vrai que la série qui met en scène son voleur Dortmunder est assez amusante. Dans un autre registre, j’ai découvert un tas de romancières qui m’ont plu : Melissa Banks (Manuel de chasse et de pêche à l’usage des filles) et quelques autres comme Helen Fielding, dont Le Journal de Bridget Jones était assez sympathique, même s’il n’y avait pas de quoi se rouler par terre. L’ennui, c’est qu’après le succès de Bridget Jones, hélas, trop de romancières ont voulu faire dans le même genre.

On a parlé beaucoup de littérature étrangère, mais y a-t-il des auteurs québécois qui vous intéressent ?

Oui, il y en a certainement, dont vous… et Denise Bombardier (rires) ! J’ai bien aimé le deuxième roman de Guillaume Vigneault, et j’ai adoré le premier recueil de nouvelles de Nadine Bismuth, Les Gens fidèles ne font pas les nouvelles, un excellent livre. J’ai lu et apprécié le premier tome de la trilogie de Marie Laberge, Le Goût du bonheur, mais j’ai décroché en cours de route. J’ai lu aussi le plus récent Michel Tremblay, Bonbons assortis, que j’ai apprécié pour les qualités de conteur de l’auteur.

Au fond, qu’est-ce que vous recherchez dans un livre ?

Je veux plus qu’une simple histoire, j’aime les livres au propos un peu satirique. Pour sortir du roman, j’ai lu les deux livres de Michael Moore, qui est assez décapant. J’aime les idées originales, comme par exemple celles d’Éric-Emmanuel Schmitt. Comme lecteur, j’aime ressortir d’un livre étonné et un peu jaloux de ne pas en avoir eu l’idée en premier. Cela dit, je dois vous laisser : je vais aller payer mon compte d’Hydro-Québec, ça pourrait aider…

***

Le Capitaine Fracasse, Théophile Gautier, Folio
Sur la route, Les Clochards célestes, Jack Kerouac, Folio
Wilt (3 tomes), Tom Sharpe, 10/18
Bonjour, Jeeves, Jeeves dans la coulisse et autres titres, P. G. Woodhouse, 10/18
Un Anglais sous les Tropiques et Nouvelles confessions, William Boyd, Points
La Part de l’autre, Éric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel
Manuel de chasse et de pêche à l’usage des filles, Melissa Banks, Rivages
Le Journal de Bridget Jones, Helen Fielding, J’ai lu
Chercher le vent, Guillaume Vigneault, Boréal
Les Gens fidèles ne font pas les nouvelles, Nadine Bismuth, Boréal/Compact
Bonbons assortis, Michel Tremblay, Leméac/Actes Sud
Dégraissez-moi ça et Mike contre-attaque !, Michael Moore, La Découverte et Boréal

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