Chrystine Brouillet: La lecture ou la vie

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Auteure de romans policiers, Chrystine Brouillet est aussi lectrice de polars, mais surtout une affamée de livres qui ne conçoit pas la vie sans eux. Fidèle, la romancière aime suivre les auteurs et les personnages, ces compagnons de vie qu'elle côtoie et retrouve avec une joie sans cesse renouvelée.

Du plus loin qu’elle se souvient, la romancière a toujours lu: «Ma vie n’existerait pas sans lecture. Mes souvenirs d’enfance sont mes découvertes de lecture, comme Les contes du chat perché, de Marcel Aymé. Je n’étais pas une enfant sportive. L’été, j’étais toujours à l’ombre en train de lire. Mon grand plaisir était d’aller à la librairie Garneau à Québec où une libraire, une dame adorable, m’a fait découvrir beaucoup d’auteurs.»

Curieuse, la jeune lectrice connaît des complices de lecture peu communs. «Quand j’étais pensionnaire à Bellevue, j’ai dévoré toute la littérature du XIXe siècle français: Zola, Maupassant, Victor Hugo, mais je n’avais pas le droit de sortir ces romans-là, se rappelle-t-elle. C’est mon professeur de français qui les empruntait pour moi et quand je les rapportais, la religieuse à la bibliothèque me faisait un grand sourire, ravie que je lise. J’avais une belle complicité avec les sœurs. Je passais des heures dans les bibliothèques et j’adorais ça!»

Grâce à la lecture, Chrystine Brouillet ne connaît pas l’ennui, mais sa soif de lire est telle que son pire cauchemar serait une pénurie de livres. «J’ai besoin de lire et je ne peux pas me coucher sans un livre, explique-t-elle. J’ai toujours peur de manquer de lecture, alors chez moi, il y a des piles de livres qui s’amoncellent. Quand je sors de la maison, je crains de ne pas avoir de quoi lire. Je ne peux pas prendre le métro s’il ne me reste que 50 pages à lire. Imaginez aussi si le métro tombe en panne et que les gens n’ont pas des bons livres à échanger? C’est un peu paranoïaque!», avoue la lectrice vorace qui lit comme elle respire.

Une singulière amitié
Les livres sont les fidèles alliés de Chrystine Brouillet, mais ça ne l’empêche pas d’être sociable. En un sens, sa relation avec les livres est un prolongement de l’amitié humaine. «Les livres, pour moi, ce sont d’autres amis silencieux, mystérieux», précise-t-elle. Porte-parole depuis des années pour la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, ainsi que pour le Festival international de littérature, la romancière croit que le livre ne sera jamais détrôné par Internet, parce qu’il est presque vivant: «Il est sensuel, il a une odeur, une texture. On flatte un livre presque comme un petit animal, et c’est nous qu’on met dans un livre.»

Pour la romancière, les livres sont donc de précieux camarades, et certains la suivent depuis longtemps: «Il y a des livres qu’on relit plusieurs fois et à chaque fois, on est rendu plus loin. Je pense à L’écriture ou La vie de Jorge Semprun, ce livre éblouissant de noirceur que j’ai souvent relu. À chaque lecture, je vois autre chose.» Pour l’auteure, qui a beaucoup lu sur la Shoah, Semprun jette avec ce livre-choc un autre éclairage: celui de quelqu’un qui était jeune dans les camps de concentration et qui, à travers l’horreur, a gardé une fraîcheur, une pulsion de vie.

La passion policière
Après avoir dévoré le roman français du XIXe siècle et succombé tout particulièrement à la construction vertigineuse des Rougon-Macquart de Zola, Chrystine Brouillet plonge dans le polar. «Vers 14-15 ans, je me suis mise à lire les Arsène Lupin et le roman policier est devenu une passion», raconte celle qui est ensuite devenue auteure de polars. Parmi les auteurs qui l’ont influencée domine Patricia Highsmith, maître du polar américain: «J’ai tout lu d’elle et surtout, L’Art du suspense, un livre de conseils sans prétention.» En bonne amatrice de polars, Chrystine Brouillet apprécie le côté pervers et malsain de ses romans; surtout de la série des Ripley et de L’inconnu du Nord-Express. «Quelle idée merveilleuse de changer les meurtres! J’aurais aimé l’avoir eue!», avoue-t-elle.

Une lectrice bienveillante
Bien qu’elle lise surtout du roman policier, entre autres pour sa chronique à l’émission Vous m’en lirez tant à la Première Chaîne de Radio-Canada, Chrystine Brouillet ne s’interdit aucun plaisir de lecture. Pour elle, il n’y a pas de lecture coupable. «On a le droit de lire ce qu’on veut. Je ne crois pas qu’il y ait de paralittérature: il y a de bons et de mauvais livres, mais c’est personnel», croit-elle. Chrystine Brouillet se dit d’ailleurs très indulgente lorsqu’elle lit du roman policier. «Je suis un très bon public. Quand je lis, je lis. Je suis une lectrice et non plus une auteure», confesse-t-elle.

En fait, elle vise surtout à transmettre son plaisir de lire. «Je trouve tellement triste que des gens ne lisent pas. Ils sont privés d’un plaisir et j’ai envie de les aider. C’est comme ceux qui disent ne pas aimer un plat sans l’avoir goûté!», ajoute celle qui pratique aussi l’art culinaire.

Chrystine Brouillet s’intéresse aux auteurs québécois de la relève et suit de près certains de ses confrères, auteurs de polars, comme Jacques Côté et Jacques Bissonnette: «Ce sont des auteurs solides et j’ai hâte de les retrouver. J’aime les auteurs qui ont des personnages qui reviennent. C’est un ami que je retrouve».

L’initiation au voyage
Même si elle goûte parfois à la bande dessinée ou à la poésie, la boulimique de lecture se rassasie surtout avec de gros romans épais, comme la trilogie Millénium de Stieg Larsson, qu’elle a adorée: «J’ai eu de la volonté, parce que j’ai attendu d’être à Stockholm pour lire le troisième tome. J’étais logée près du métro dont il parle souvent. Ça m’a fait comprendre des choses qui se passent là. Quand je voyage, c’est pour comprendre les auteurs et leurs réalités. Je lis les grands classiques, mais je me fais surtout conseiller par des libraires. Avant d’aller en Turquie, par exemple, j’ai lu des auteurs turcs», explique la lectrice qui fréquente toujours les auteurs avant de mettre les pieds dans un pays étranger.

Sans répit, Chrystine Brouillet arpente le pays des livres, qu’elle soit en train d’écrire ou pas. «La lecture me repose de l’écriture», affirme-t-elle, poursuivant sans relâche sa relation particulière avec les livres, une amitié renouvelable et inconditionnelle. En somme, pour l’auteure de Québec, la lecture occupe une place si grande qu’elle se confond presque avec la vie.

Bibliographie :
Les contes rouges du chat perché et Les contes bleus du chat perché, Marcel Aymé, Folio Junior, 206 p. ch., 12,50$ ch.
L’écriture ou La vie, Jorge Semprun, Folio, 400 p., 17,95$
L’art du suspense de Patricia Highsmith est en réimpression, et les livres de la série Les Ripley sont disponibles chez Le Livre de Poche.
L’inconnu du Nord-Express, Patricia Highsmith, Le Livre de Poche, 350 p., 10,95$
La mort de Mignonne et autres histoires, Marie Hélène Poitras, Triptyque, 170 p., 13$
La trilogie Millénium de Stieg Larsson (Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, La reine dans le palais des courants d’air) est publiée chez Actes Sud, dans la collection Actes noirs. Entre 576 p. et 720 p. ch., 34,95$ ch

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