Chantal Petitclerc: Marathonienne de lecture

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Quoique privée de l’usage de ses jambes depuis l’adolescence, Chantal Petitclerc ne tient littéralement pas en place. Entraîneuse de l’équipe d’athlètes britanniques qui prendra part aux prochains Jeux paralympiques, la dynamique jeune femme fait constamment le va-et-vient entre le Québec et l’Angleterre, sans compter les voyages en Suisse, au Portugal et vers toutes les destinations où le calendrier de ses protégés l’emporte… mais jamais sans (au moins) un livre!

«Parmi les premières lectures qui m’ont marquée, il y a eu Robinson Crusoé», me confie notre libraire d’un jour rejointe au téléphone, au lendemain de son retour d’un de ses séjours londoniens. «Je n’avais pas 10 ans. Mais je l’ai relu, souvent, comme je relis tous les livres que j’ai aimés», ajoute-t-elle, en s’excusant presque. «J’aime la familiarité que je ressens à plonger dans un univers que je connais déjà. Si bien que dans certains cas je suis incapable de dire à quel moment j’ai lu le livre pour la première fois.»

Chantal Petitclerc se rappelle qu’elle n’a pas grandi dans un milieu familial où l’on accordait une grande importance aux livres, ce qui ne l’a toutefois pas empêchée d’être une avide lectrice dès l’enfance. «Il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison, mais j’aimais en ramener de l’école. Très tôt, j’ai lu tous les «Martine» et au secondaire pas mal de polars d’Agatha Christie. On croit à tort que les athlètes sont toujours dans l’action; moi, j’ai un côté très contemplatif aussi. J’aime lire et j’aime lire longtemps. Je sais que bien des gens lisent une petite demi-heure avant de s’endormir. J’en suis incapable, personnellement. Je préfère me réserver une journée, me dire tiens, samedi, je ne m’entraîne pas, je vais lire du matin au soir.»

Au nombre des livres de sa jeunesse qu’elle relit à l’occasion, l’athlète cite Germinal de Zola, qu’elle avoue avoir lu par hasard. «J’étais au secondaire, je venais d’avoir mon accident. Un oncle, le seul qui avait une formation universitaire, m’avait offert une boîte de livres qu’il avait achetés dans le cadre de ses études, pour m’aider un peu. Cette semaine-là, j’avais un exposé oral à présenter à l’école, alors j’ai pris ce livre pour sujet. Ma lecture avait pour but de me rendre au bout de l’histoire d’amour entre Étienne et Catherine, je n’avais pas porté attention à tous les enjeux sociaux et politiques du roman. Mais mon prof avait été bien impressionné.» Cette lecture s’est avérée des plus déterminantes pour Chantal; non seulement elle y est revenue pour des travaux au collégial et à l’université, mais elle a, au fil des ans, dévoré toute la série des «Rougon-Macquart».

Grande fan de l’écriture de Milan Kundera (Le livre du rire et de l’oubli) et de Bernhard Schlink (Le liseur) du temps de ses études universitaires, Chantal Petitclerc a succombé ces dernières années au charme des livres d’Alessandro Baricco, mais avoue avoir préféré Océan mer à Soie, qui a remporté davantage de succès. «Évidemment, j’avais aussi vu sur scène Novecento: pianiste que j’avais aussi apprécié.» Et parmi les romans québécois récents qui ont laissé leur marque dans son coeur et son esprit, elle parle avec passion de L’énigme du retour de Dany Laferrière: «Je n’ai pas tout lu de Dany Laferrière, mais je crois que tout le monde devrait lire celui-là, c’est un très beau livre sur les racines, sur l’identité.»

À chaque saison son livre
Le choix d’un livre pour Chantal Petitclerc dépend beaucoup de son emploi du temps et des saisons. «Ces jours-ci, je suis souvent en avion, j’ai donc tendance à préférer des lectures rapides et de détente, c’est plus facile pour moi. Quand je suis en déplacement, quand je suis en compétition, je suis moins portée à me plonger dans des essais touffus. Les livres plus consistants, je me les réserve pour les vacances de Noël ou les vacances d’été.»

Celle qui a grandi avec Miss Marple et Hercule Poirot a gardé de sa jeunesse un goût pour le polar et le roman noir et ne cache pas son amour pour les romans de Henning Mankell qu’elle a découverts comme beaucoup de gens avec Les morts de la Saint-Jean. «La lecture de L’homme inquiet a été un moment un peu triste, parce que je ne savais pas avant de me lancer que j’assistais à la dernière enquête de Kurt Wallander. Il semble que j’ai un petit deuil à faire», rigole celle qui, heureusement, peut se consoler avec les romans de Michael Connelly: «Le personnage de Harry Bosch et ses enquêtes sont assez proches de Mankell, dans le ton, dans la manière.»

Autrement, détentrice d’un baccalauréat en histoire, notre libraire d’un jour se sent volontiers interpellée par les romans ambitieux à caractère historique et social. «J’ai adoré la Trilogie berlinoise de Philip Kerr et j’ai bien hâte de pouvoir plonger dans son tout récent, Hôtel Adlon, ça fait partie de mes projets pour l’été.» D’ailleurs, sa fascination pour l’histoire l’a amenée à lire les ouvrages controversés de l’historien Antony Beevor (La chute de Berlin, Stalingrad): «Quand c’est bien fait, j’aime beaucoup ce type de livres pas du tout romancés.»

Dans un même ordre d’idées, Chantal adore les recueils de correspondance et pas forcément celles d’écrivains dont elle a lu les oeuvres romanesques: les lettres de George Sand, les échanges entre Sartre et De Beauvoir, entre Henry Miller et Anaïs Nin, les Lettres à Milena de Kafka: «C’est peut-être mon petit côté voyeur, encore que je n’ai jamais accroché sur les téléréalités», plaisante-t-elle, en déplorant le fait qu’on trouve de moins en moins de ce type d’ouvrages aujourd’hui. «Il m’est arrivé de lire les correspondances avant d’aborder les romans; c’est le cas pour Anaïs Nin, mais j’ai aimé davantage les lettres que les livres de fiction. Dans le cas de Sartre et de De Beauvoir, j’ai lu la correspondance, les journaux de guerre avant d’arriver aux romans parfois un peu plates de Simone de Beauvoir.»

Lectrice bien de son temps, Chantal Petitclerc s’est convertie au format numérique par souci de commodité: «Je suis devenue accro du iPad, c’est tellement pratique pour quelqu’un qui voyage beaucoup comme moi. Mais je déplore qu’on n’ait pas encore suffisamment de choix en français. Il faudrait que les éditeurs francophones fassent plus d’efforts pour rendre facilement accessibles leurs productions.»

Bibliographie :
Robinson Crusoé, Daniel Defoe, Folio, 5,75$ Germinal, Émile Zola, Folio, 7,75$ Le livre du rire et de l’oubli, Milan Kundera, Folio, 14,95$ Le liseur, Bernhard Schlink, Folio, 13,95$ L’énigme du retour, Dany Laferrière, Boréal, 14,95$ Les morts de la Saint-Jean, L’homme qui souriait et L’homme inquiet, Henning Mankell, Points, 16,95$ ch. La trilogie berlinoise, Philip Kerr, Le Livre de Poche, 14,95$ Lettres au Castor (2 tomes), Jean-Paul Sartre, Gallimard, resp. 55$ et 47,50$ Lettres à Sartre (2 tomes), Simone de Beauvoir, Gallimard, 57$ ch. Correspondance passionnée, Anaïs Nin et Henry, Miller, Stock, 36,95$

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