Les libraires craquent: essai québécois

La Méditerranée et l’Atlantique

La colonisation de l’Amérique a été le sujet de nombreux livres. Par contre, très peu sont ceux qui, comme le fait avec maestria Nicolas Faelli, abordent la question de la colonisation européenne sous l’angle de la connaissance et de l’utilisation des sources littéraires de la Grèce antique dans les écrits des penseurs français et anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Faelli montre que les Anglais poussèrent la réflexion sur le concept de colonie plus loin que leurs homologues français avec, entre autres, la notion du Commonwealth. Cet écrit captivant révèle également comment au XVIIIe siècle les auteurs grecs anciens comme Thucydide et Platon s’immiscèrent, bien involontairement, dans les affaires politiques du plus grand empire et dans celles de ses treize colonies, bientôt indépendantes. De Mézeray à Jefferson en passant par Hobbes, un parcours unique dans la pensée colonialiste de grands littéraires.

Errances

Errances est à la fois un livre d’art et de poésie où les auteurices illustrent de mystérieuses images. Le tout est précédé d’une savante introduction de l’artiste, expliquant l’histoire de ce langage pictographique propre aux oubliés, aux effacés. Suzanne Cloutier a voulu mettre en avant des signes qui apparaissent sur les murs des villes : ces symboles sont des messages que se laissent entre eux les nomades et itinérants, pour indiquer un endroit dangereux, un voisinage agressif, ou bien, à l’inverse, où ils peuvent espérer trouver un bon accueil, une soupe chaude, un endroit où dormir sans danger. Une humanité des interstices se dessine dans ces signes. C’est beau et émouvant.

Chambres fortes

Onze auteurices écrivent sur leur rapport à l’œuvre et aux thèmes développés dans l’essai Une chambre à soi de Virginia Woolf, dont la version originale est parue en 1929. Près de 100 ans plus tard, force est de constater que tous et toutes n’ont pas accès à un lieu pour écrire et à de l’argent pour pourvoir à leurs besoins physiologiques et psychologiques. Les textes prennent des formes variées, parfois loin des œuvres publiées antérieurement par ces auteurices, allant de l’essai à la poésie, les plus surprenants étant les adresses à Virginia Woolf. Les thèmes de la confiance, du silence et du temps sont récurrents. Impossible de lire ces textes et de ne pas ressentir une irrésistible envie de créer et de posséder un lieu à l’épreuve des éléments.

Au square Gardette

Rober Racine propose la biographie de son amitié avec le compositeur Claude Vivier, assassiné en 1983 par Pascal Dolzan, un homme de 20 ans qu’il avait ramené à son appartement du square Gardette. Claude Vivier, doté d’un patronyme doublement vivant, a influencé le parcours de Rober Racine, bien avant leur première rencontre en personne en 1978. L’auteur se questionne sur les liens entre la créativité et le meurtre, allant jusqu’à écrire qu’une seule lettre différencie les mots création et crémation, ce qui fait frissonner. Il se lance à la recherche du meurtrier, un être insaisissable qui a plus de points en commun avec Claude Vivier qu’on pourrait le croire. Une lecture troublante, documentée, impossible à mettre de côté, qui met en valeur les œuvres de Racine et de Vivier.

Porter plainte

Dans ce livre, Léa Clermont-Dion se tourne vers la littérature pour faire le récit du processus judiciaire dans lequel elle s’est engagée en 2017 et qui a trouvé son dénouement en 2021. À 17 ans, la jeune femme est agressée sexuellement par son patron et mentor de l’époque. Des années plus tard, le mouvement #MeToo et la volonté de se départir de la honte la convainquent de prendre la parole sur les réseaux sociaux, pour aboutir à une plainte officielle plus tard. Après des années à devoir mesurer chacun de ses mots afin qu’aucun d’entre eux ne se retourne contre elle dans les médias, l’autrice fait enfin son histoire sienne, dans ses propres mots, dans ses bas et dans ses hauts. L’écriture de l’autrice, sa sensibilité aiguisée et le choix judicieux des événements racontés participent à transformer le ressentiment des victimes en quelque chose comme… de l’espoir.

Les lettres attachées : Textes et réflexions

Dans ce recueil de textes, David Goudreault n’a pas peur de se commettre en traitant de sujets variés tels que la maladie mentale, l’alcoolisme et la solitude de nos aînés. Il utilise un langage cru, franc, honnête et sans compromis. Il emploie des mots percutants, mais ô combien éloquents! Mais aussi, et surtout, il nous touche, nous émeut et nous atteint droit au cœur. Dans un cas comme dans l’autre, il suscite en nous une certaine réflexion. Voici donc quinze textes que l’auteur a livrés à l’émission Bonsoir bonsoir! Vous aurez donc le plaisir de les retrouver ou le privilège de les découvrir dans ce livre que je considère comme un bijou de la littérature québécoise.

Histoire de mon corps bref

Billy-Ray Belcourt, originaire de la nation crie Driftpile, est assurément un auteur à part. À part puisque sa radicalité, son audace et son inventivité littéraires sont arrimées à son propos : savoir se réinventer, en tant qu’Autochtone et personne queer, en dehors de la violence des normes identitaires et sexuelles, et surtout, en dehors de la brutalité de l’héritage colonial. Son nouveau livre traduit en français épouse d’abord la forme autobiographique, mais emprunte aussi les codes de la poésie et de l’essai avec une originalité qui lui est propre. En son centre, on y retrouve les thèmes de l’intimité, de l’identité, du racisme et de la colonisation dans toute leur complexité. Lire Belcourt, et particulièrement ce livre, c’est accepter de ressentir la douleur en même temps que la joie. C’est aussi un cri de ralliement pour un avenir plus doux et bienveillant.

Les saumons de la Mitis

J’avais moi aussi bien aimé J’aime Hydro de Christine Beaulieu, mais je dois avouer que ce que j’avais le plus hâte de découvrir avec Les saumons de la Mitis, c’était l’œuvre de Caroline Lavergne que j’avais découverte avec Le film de Sarah. Une fois de plus, j’ai retrouvé le confort de ses illustrations et j’ai savouré le magnifique texte sur les saumons de la rivière Mitis. La façon dont le tout est construit ne peut que nous rendre empathiques avec la réalité de ce poisson qui habite notre beau pays. L’heureux mélange entre les images avec les saumons et celui avec le public qui participe à la pièce de théâtre (dont est tiré ce livre) ne fait qu’augmenter la puissance de la narration et de la sensibilisation recherchée. Essayez-le, vous ne verrez plus jamais ce roi des rivières de la même façon!

Les engagements ordinaires : Lutter de mères en filles

Ah que j’aime les essais de Mélikah! Elle écrit juste comme il faut pour m’instruire, mais aussi pour me raconter une histoire. J’avais été ravi par Baldwin, Styron et moi que j’avais lu d’un seul trait. De plus, dans ces deux ouvrages, il est fait mention de mon petit coin de pays, le Saguenay, et spécifiquement de La Baie, où j’ai grandi. Les engagements ordinaires raconte comment trois générations de femmes, sa grand-mère, sa mère et elle-même, se sont retrouvées dans une position où elles ont été poussées à s’engager afin d’aider leur communauté, chacune à sa manière. Ce livre est, oui, un hommage à ces femmes qui ont façonné la Mélikah d’aujourd’hui, mais aussi une réflexion sur l’engagement, son utilité et les difficultés qui s’y rattachent. Un grand petit livre…

Voyage au bout de la mine : Le scandale de la Fonderie Horne

On pensait connaître les grandes lignes concernant la Fonderie Horne : pollution de l’environnement, taux d’arsenic élevés et magouilles politiques. Cependant, Pierre Céré, dans son enquête sur la réalité de Rouyn-Noranda, nous emmène à comprendre l’envergure tentaculaire du principal responsable : Glencore. L’auteur expose l’étendue des dégâts causés par l’avarice ravageuse des compagnies minières. Le portrait complet et inquiétant de la situation nous pousse à nous interroger sur la Suisse, les magouilles politiques et même les fonds de lac : l’ampleur de la situation est choquante. L’essai semble toutefois un appel à la population, il faut continuer à parler contre ces nombreuses injustices qui nuisent depuis longtemps à notre avenir.

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