Sonya Malaborza : Faire rayonner les voix de l’Acadie
Écrire que la Néo-Brunswickoise Sonya Malaborza porte plusieurs chapeaux n’est pas qu’une figure de style. Traductrice, auteure, conférencière et conseillère littéraire, elle contribue également à l’essor des nouvelles plumes acadiennes.

« C’est vrai que mes activités professionnelles m’occupent », lance Sonya Malaborza en riant au bout du fil. Il reste que sa connaissance approfondie du milieu littéraire en Acadie en fait une personnalité francophone incontournable au Nouveau-Brunswick. Elle s’est récemment retrouvée sous les feux des projecteurs grâce à sa traduction en français de L’accoucheuse de Scots Bay (The Birth House) qui lui a valu en 2020 d’être dans la liste des finalistes au prestigieux Prix littéraire du Gouverneur général dans la catégorie « traduction ». « Cela a été une surprise, admet-elle. Après vingt ans à travailler en silence tranquillement dans mon coin, je ne m’y attendais vraiment pas. »

Ancrée au début du siècle dernier, L’accoucheuse de Scots Bay brosse le portrait poignant de plusieurs femmes en milieu rural au Canada atlantique. Lorsqu’elle a lu pour la première fois le roman de la Néo-Écossaise Ami McKay, en 2007 lors de sa sortie en librairie, la traductrice se souvient de sa fascination pour le personnage acadien dans la version anglaise, une accoucheuse qui donne d’ailleurs son titre à l’ouvrage. « J’ai été touchée par Marie Babineau, surnommée M’ame B. dans le livre. Même si elle n’est pas la figure centrale du bouquin, l’accoucheuse demeure un personnage pivot. »

La M’ame B. du roman réside en Nouvelle-Écosse, dans un lieu qui a réellement existé et dans lequel a vécu une importante population francophone. On pense bien sûr à Grand-Pré — haut lieu de l’histoire des Acadiens — situé justement à quelques encablures au sud de Scots Bay. « L’auteure Ami McKay s’est inspirée de la grand-mère de son mari qui était une Acadienne de la Nouvelle-Écosse. C’est un peu pour rendre hommage à cette filiation qu’elle a imaginé le personnage. »

Au fil des chapitres, on apprend que M’ame B. est originaire de la Louisiane. Elle a la particularité de s’exprimer avec le parler coloré de son coin de pays et d’avoir aussi fait le chemin de la Déportation à rebours en revenant en Acadie. « Je devais faire en sorte que le destin et la langue de cette sage-femme puissent exister au sein du corpus littéraire acadien, explique la traductrice. Mes lectures de la poésie acadienne, de la Louisiane, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse m’ont permis de recomposer les voix francophones qu’on devait retrouver à Scots Bay durant cette époque. »

Sonya Malaborza, qui réside à Galloway, à une heure au nord de Moncton, évoque les récits tragiques des habitants expulsés d’Acadie par les Britanniques lors du Grand Dérangement. À l’instar de l’accoucheuse, certains téméraires ont tenté de retourner vivre sur les terres de leurs ancêtres. Cet attachement que les Acadiens portent à leur territoire et leur langue, Sonya Malaborza le retrouve dans la nouvelle génération d’écrivains, mais sous des formes inédites.

Elle le constate dans son travail pour la revue Ancrages qui lui donne l’occasion d’accompagner la relève littéraire. « Je vois des écrivains et écrivaines animés d’une grande volonté pour mettre des mots sur leur réalité, des réalités qui sont aujourd’hui multiples et modernes. » Elle cite en exemple Mo Bolduc et Georgette LeBlanc pour la « grande maîtrise » de leur langue acadienne. « La poésie a toujours été le genre préféré des auteurs de chez nous. » Même si l’Acadie a encore peu de romanciers, Jean Babineau étant une belle exception à la règle, la poésie proche de l’oralité demeure le genre privilégié. « C’est peut-être cette oralité qui attire les écrivains d’ici », avance-t-elle.

Sonya Malaborza précise qu’il y a une variété de genres et d’accents qui fait vraiment du bien à la littérature francophone. « Ce qui me frappe chez les jeunes auteurs de l’Acadie, c’est l’ouverture et la curiosité. Ils ont un fort désir d’aller vers l’autre. » Elle observe ce « dynamisme littéraire » contemporain aux quatre coins de l’Acadie : de Caraquet jusqu’au Madawaska, en passant par Edmundston et la baie des Chaleurs avec Jonathan Roy, Sébastien Bérubé ou Jean-Philippe Raîche, pour n’en citer que quelques-uns.

Et puis en tant que conseillère littéraire aux Éditions Prise de parole pour les provinces de l’Atlantique, Sonya Malaborza note que les jeunes auteurs considèrent maintenant qu’il existe une véritable place pour leur parler français dans les littératures d’ici. « On a longtemps marché sur une corde raide en Acadie entre “nos parlers” français et le français normatif, relate-t-elle. Un rapport ambivalent qui a souvent empêché des gens d’écrire, pensant qu’ils ne parlaient pas un français correct. Je trouve cela chouette de voir que la nouvelle génération s’est libérée de cet obstacle pour leur permettre une pleine expression. »

La vitalité des littératures acadiennes crée des ponts, affirme la traductrice. Il existe un grand désir de soutenir les littératures francophones à l’extérieur des frontières comme avec la collection « Acadie tropicale », aux Éditions Perce-Neige. « La revue Ancrages prépare de son côté un numéro en collaboration avec la revue Feux Follets, en Louisiane, avec l’idée de faire connaître davantage les auteurs cajuns. »

Photo : © Louis-Philippe Chiasson

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