Sébastien Bérubé : Écouter plus fort
Une fulgurance. C’est arrivé il y a un peu plus d’un an. Un ami prenait part au Festival acadien de poésie de Caraquet et j’assistais à sa performance suivie par celle de Félix Perkins. Assis derrière un feu de camp, dans le bois où il vit à temps partiel, le jeune poète performait une partie de Boiteur des bois et j’en avais été renversée. Une telle aisance, un tel don pour dire tout haut, mais surtout, une telle poésie, à peine l’école secondaire terminée. Une fulgurance, oui.

Saut dans le temps, j’assiste à une table ronde au Salon du livre des Premières Nations à la Maison de la littérature à Québec et Félix, qui y participe, vante les mérites de son accompagnateur pour la publication de son premier recueil. Sébastien Bérubé. Je ne suis pas même surprise. Sébastien, le petit bum à grand-gueule, Sébastien le musicien depuis toujours, Sébastien l’époustouflant poète. Sébastien, ce passeur extraordinaire qui a mis fin à son emploi d’agent de développement culturel pour poursuivre son engagement avec les jeunes Autochtones en dehors du cadre gouvernemental, question d’être plus près de ses valeurs, question d’être en action.

J’ai quitté cette job-là pour plus me concentrer à aider des individus. En grandissant, du monde qui faisait ça pour le Madawaska, j’en voyais pas. J’ai acheté ma maison sur un coup de tête à Edmundston pour m’assurer que si j’ai envie d’partir, j’vas y penser parce que j’ai une maison à vendre. Moi, j’veux rester dans ma région et aider à construire. Si mon jeune décide d’être artiste, y s’fessera pas la face dans l’mur pis din roches comme moi j’me suis fessé.

De l’autre côté de l’écran, il s’illumine en m’expliquant la situation géographique du Madawaska que je n’avais pas tout à fait saisie. Il me dit que c’est comme à Québec, avec Wendake à proximité; une réserve dans la ville où tous se côtoient pour vrai, notamment pour la fréquentation du système d’éducation. Nous parlons d’appropriation culturelle, du fait francophone au Canada, de nos mille solitudes, des frontières politiques, géographiques, culturelles. Inévitablement, nous parlons de l’Acadie. De l’Acadie rêvée et réelle, de l’Acadie physique qui s’étend jusqu’aux bayous louisianais.

Un non-lieu pour être ensemble
Grisée par tout ce que je découvre et revisite, je nous ramène tout doucement vers le sujet pour lequel je dois écrire : la non-collection qu’il a cofondée avec Serge Patrice Thibodeau aux Éditions Perce-Neige.

Ça prenait un projet qui permettrait l’émergence des voix autochtones francophones au Nouveau-Brunswick. Mais j’me suis dit : « C’est pas vrai qu’on va faire une collection séparée pour la littérature autochtone. » Ce qui me dérange dans le traitement de l’autochtonie littéraire, c’est qu’on va souvent mettre à part une parole soi-disant pour l’intégrer et j’aime pas cette perspective-là. On s’est dit : « Peu importe ce qu’ils vont écrire, ils vont faire partie du corpus global. »

Ce projet n’est pas uniquement tourné vers l’autochtonie. L’idée, c’est de l’étendre pour l’ensemble des minorités du Nouveau-Brunswick pour faire apparaître l’émergence de l’écriture de toutes ces personnes qui habitent le territoire et qui s’expriment en français.

J’aime de plus en plus être en arrière pis aider les autres à se professionnaliser. Je me vois plus comme un mentor, ou quelqu’un qui épaule l’écriture. Le but, c’est pas la publication : c’est aider à construire un recueil, à peaufiner une idée pour un texte qui sera publié en revue. C’est aider à développer cette littérature et sa relève. Tout c’qui va sortir de c’projet-là, j’vas être en arrière, dans l’ombre. Quand on va parler de ces livres-là, j’veux pas qu’on m’appelle, j’veux qu’le monde parle aux auteurs. C’est pas à moi à parler à leur place.

Le territoire est mouvance, est vivant

La question du territoire, c’est gros. C’que j’trouve le fun, c’est que dans la littérature acadienne, les régions ont un pouvoir de décentralisation qui a déjà été accepté. Avec Pierrot Ross Tremblay, on en parle souvent. Ici, les identités sont vraiment liées à l’espace et au territoire. C’est la privation de ce qui définit qui fait une tension, un moteur fécond pour l’écriture. C’est peut-être pour ça que je trouve que les poètes acadiens et autochtones font des bons chums.

J’suis pas d’accord avec la manière de décortiquer la littérature francophone à partir du Canada politique. Ce que je trouve terrible, c’est la quasi-négation de l’existence de la littérature francophone autochtone hors Québec. Faut casser ce moule-là, parce que des personnes des Premières Nations qui ont des choses à dire en français, il y en a partout en dehors du Québec. Faut juste écouter plus fort.

Un poète et ses mensonges

À la base, j’écrivais des chansons… la poésie est pour moi une belle erreur de parcours. C’est peut-être juste la forme qui fait que je mens à tout le monde en disant que je suis poète depuis des années.

Ses mensonges, il les porte encore plus loin alors qu’il travaille en ce moment à une « sorte de recueil d’histoires » campées sur un territoire fantasmé.

J’ai passé ma vie entre le Madawaska pis le Restigouche. Trop brayon pour le Restigouche, pas assez pour Edmundston. J’ai jamais pris l’accent de la région. J’me suis toujours senti pris entre ces deux territoires. Rivières-aux-Cartouches [nom du projet sur lequel il travaille] superpose la géographie, les ouï-dire et les légendes de ces lieux-là pour déconstruire les imaginaires régionaux et les reconstruire. Je veux agir comme une sorte d’arbitre pis déjouer les fiertés. Ici, personne sait vraiment qui il est. Les menteries remplissent les trous.

Ce voyage fascinant dans les imaginaires acadiens et madawaskayens, on l’amorce par la lecture des deux premiers titres de cette non-collection chez Perce-Neige, soit Fif et sauvage de Shayne Michael et Boiteur des bois de Félix Perkins. On le poursuit dans l’ensemble du catalogue de la maison et, pour ma part, je note Rivières-aux-Cartouches à côté de la promesse d’aller virer à Edmundston pour poursuivre cette conversation avec Sébastien. J’y vais!

Photo : © Geneviève Violette

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