Quai no 5 : nouveau port d’attache pour lecteurs aventureux

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Faire violence et Vertiges : deux titres qui inspirent l’appel des extrêmes, deux titres qui soufflent un intense tourbillon sur le lecteur. Voilà ce à quoi nous convient les deux premiers romans de la nouvelle collection d’XYZ nommée « Quai no 5 ». Dirigée par nul autre que Tristan Malavoy-Racine, ex-rédacteur en chef du Voir Montréal, poète, critique littéraire reconnu et musicien, cette collection fait place à des romans desquels on entend émerger l’écho de voix nouvelles et qu’on découvre comme s’il s’agissait d’un nouvel album de rock. Entretien avec l’homme derrière cette vitrine, lieu d’expression pour les auteurs qui n’ont assurément pas la langue dans leur poche. 

 « Quai no 5 » : quel nom curieux! Pourquoi ce « quai », mais surtout, à quoi fait référence cet énigmatique « numéro 5 »?

En 2007, j’ai créé pour le Festival international de la littérature (FIL) un spectacle intitulé Quai no 5. Il s’agissait d’une rencontre entre la littérature et la musique, dans une gare imaginaire. Ces derniers mois, pendant que nous recherchions un nom pour cette nouvelle collection qu’XYZ m’a offert de diriger, je me suis souvenu de cette formule, qui a aussitôt causé beaucoup d’enthousiasme chez mes collègues. Ce « quai », il évoque évidemment les départs, les arrivées, ce que propose tout bon livre. Quant au « 5 », et c’est là que ça devient intéressant, il désigne le cinquième art, qui n’est autre que la littérature…

 

De quelle façon se démarque la collection « Quai no 5 » du reste de la production d’XYZ?

Par définition, cette collection est très personnelle. On me demande de publier deux titres par saison, donc quatre par année, sur la base de mes coups de cœur. Le sous-titre de « Quai no 5 », ce pourrait être « Qui m’aime me suive! », ou plutôt « Qui aime ce que j’aime me suive! » Plus sérieusement, la genèse même de la collection implique une ouverture aux autres formes d’arts. À des degrés divers, et sans que ce soit systématique, les titres de « Quai no 5 » feront donc une place toute particulière à la musique, aux arts visuels, au cinéma.

 

Que recherchez-vous dans les manuscrits que vous recevez? Qu’est-ce qui fait que vous avez retenu celui de Fredric Gary Comeau et celui de Sylvain David au détriment de tous les autres?

J’aime les bonnes histoires, comme tout le monde, mais je demande à un auteur davantage que ça. Je lui demande de me faire entendre sa voix, de me faire sentir sa présence et son souffle. Je cherche donc des histoires signées, dont l’écriture n’est pas celle d’un fil de presse ou d’un manuel de jardinage. Par des voies très différentes, et Sylvain David et Fredric Gary Comeau m’ont fait vibrer sur ce plan. Sylvain arrive, à travers une langue volontairement un peu sèche, presque clinique, à retourner aux sources d’émotions très vives. Il y a là un pari stylistique qui m’a profondément séduit. Fredric, bien connu comme poète et ACI, nous donne pour sa part des pages très fortes, qui ne pourraient être écrites par personne d’autre que lui, où la passion de l’art, la violence, l’amour vrai et une sexualité problématique s’entremêlent de façon singulière. Je dirais qu’il a plu au lecteur de Murakami en moi, de Baricco aussi, jusqu’à un certain point.

 

Vos deux premiers ouvrages publiés dans votre collection ont ceci qui les rapproche : ils sont tous deux écrits par des auteurs qui ont un grand bagage musical derrière eux. Vous-même, vous êtes auteur-compositeur-interprète. Est-ce une coïncidence?

Non, évidemment. Tous mes auteurs ne seront pas musiciens, mais j’ai une sensibilité particulière aux harmoniques que crée la musique quand elle croise le littéraire. J’ai lu beaucoup de ces romanciers amoureux de musique, de Boris Vian à Philippe Djian; le nouvel éditeur que je suis se fait plaisir, tout simplement!

 

D’abord du côté de la critique, vous êtes passé de l’autre côté du miroir en arrivant du côté de la « production ». Aimez-vous l’expérience? Cela vous donne-t-il un nouveau regard sur l’un comme l’autre de ces métiers?

À ceux qui me posent la question, je dis à la blague qu’après avoir critiqué les livres après leur parution, je les critique maintenant avant! Au fond ce n’est une blague qu’à demi : agir comme critique littéraire pendant plusieurs années, comme je l’ai fait, aiguise le regard quant aux forces et aux failles d’un texte. Je pense que ça a représenté une bonne « préparation », même si le travail d’édition est aussi fait de beaucoup de choses qu’on ne peut apprendre qu’en s’y mettant. L’essentiel est dans la qualité du dialogue qu’on établit avec l’auteur, je le réalise chaque jour un peu plus.

 

Quel fut le plus dur apprentissage pour vous en devenant éditeur?

Marie-Pierre Barathon, une autre éditrice de la famille XYZ, m’a donné quelques conseils quand je suis arrivé. Elle m’a entre autres dit que les solutions, les auteurs les trouvaient souvent eux-mêmes, à condition qu’on leur pose les bonnes questions. Je ne trouve pas ça nécessairement « dur », mais il y a là un réel apprentissage à faire : savoir poser les bonnes questions pour amener l’auteur à dénouer ce qu’il reste à dénouer dans sa démarche d’écriture. C’est son roman, après tout.

 

Dans le contexte où le milieu de livre vit une période fragile – arrivée du livre numérique, mouvance des habitudes de lecture, multiplicité des loisirs, etc. – comment percevez-vous l’arrivée d’une nouvelle collection?

Le contexte a beau être difficile, il y a des auteurs qui émergent et dont la voix doit être entendue. Qu’il y ait une nouvelle antenne pour ces auteurs-là me paraît positif. Ceci dit, je n’arrive pas la bouche en cœur : je sais qu’il ne sera pas simple de se tailler une place. Je prends ça un livre à la fois, veillant à ce que chacun soit prêt pour la rencontre avec son public naturel. Le reste ne m’appartient pas.

Il m’appartient en revanche, comme à tous les acteurs du milieu du livre, de contribuer – par des actions, des revendications, mais d’abord par une attention aux mouvements du monde et du commerce – à ce que le livre traverse la période de turbulences que cause l’éclatement des formats et des propositions du divertissement. Il y a certaines expériences qui ne sont possibles que par la lecture, c’est chez moi une conviction profonde; il m’appartient comme à tout le milieu du livre de le rappeler à qui l’oublierait.

 

La facture graphique est très élégante. Elle est signée David Drummond. Pourquoi avoir choisi cet artiste en particulier pour illustrer chacune des couvertures, dont celles à venir?

David Drummond a développé sa signature auprès d’éditeurs du Canada anglais et des États-Unis, où il a d’ailleurs reçu des prix importants. Il s’y est forgé un style qui n’a pas son équivalent chez les éditeurs québécois francophones actuels, ça a dont été une belle nouvelle pour moi qu’il accepte de signer les couvertures de « Quai no 5 ». J’ai toujours été attaché à l’objet livre, qui peut, quand le travail est bien fait, donner un avant-goût pertinent du contenu. David et moi sommes exactement sur la même longueur d’ondes sur ce plan. Et puis c’est quelqu’un de terriblement cool, avec qui j’adore travailler!

 

Maintenant que vous êtes éditeur, le goût d’écrire est-il toujours présent? Travaillez-vous sur des projets personnels en parallèle avec votre métier au sein d’XYZ?

Oh, le goût d’écrire est plus présent que jamais… Je vais tout vous dire : je suis éditeur deux jours par semaine – et un peu plus, évidemment, quand mes auteurs et moi nous engageons dans le dernier droit. Il me reste beaucoup d’heures par semaine pour cultiver mes pommes de terre!

 

Faire violence et Vertiges, les deux premiers titres de la collection, seront en librairie dès le 19 septembre. En quelques lignes, comment tenteriez-vous d’attirer les lecteurs sur ces titres en particulier?

J’ai au moins une conviction à l’égard de ces deux romans : ils ne ressemblent à rien d’autre, ce sont des électrons libres dans cette rentrée 2013. Beaucoup de livres se ressemblent, de nos jours, ce qui résulte assez clairement de la frilosité des éditeurs dans un contexte économique difficile. En voici au moins deux qui feront vivre au lecteur quelque chose de différent, l’un par sa réflexion franchement brillante sur l’univers punk et les sources de la révolte, l’autre par ce chassé-croisé de personnages blessés mais flamboyants dans lequel il nous entraîne.

 

Question de connaître un peu plus l’homme derrière « Quai no 5 » et son parcours musical : est-ce possible de nous parler de J’attends tes lèvres pour chanter, présenté au FIL 2013 et auquel vous prendrez part?

Les hasards du calendrier ont fait que ce spectacle, J’attends tes lèvres pour chanter, sera présenté au Lion d’Or le lendemain du lancement de la collection. Grosse semaine pour moi, donc (!), mais je resterai au fond dans les mêmes eaux. Ma contribution au FIL (une nouvelle mouture d’un spectacle créé au printemps dans le cadre de Metropolis bleu) est basée sur l’idée de la rencontre et de la collaboration artistique. Dans un décor qui évoque un atelier d’artiste, se croiseront les univers de FORÊT, Kim Doré, Michel Rivard, Franz Benjamin, moi-même et… Fredric Gary Comeau!

 

Crédits photo : Dominic Gauthier

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