Nathalie Lagacé possède son propre style, qui incorpore beaucoup d’éléments de la nature, des traits fins et appliqués, des couleurs douces et estompées. Surtout, on retient ses êtres hybrides, entre humains et animaux, des images qui souvent nous remuent — doucement — en raison de leur étonnante incongruité et du message fort dont elles se font porteuses. Des images qui invitent à la réflexion, tout comme les propos tenus dans ses livres. Montréalaise d’origine, mais expatriée depuis peu pour vivre totalement de son art, cette autrice-illustratrice a vraiment trouvé comment capter notre regard.

Que vous permet le graphite que les autres médiums ne vous permettent pas? Et pourquoi créer avec une loupe?
Il y a quelque chose dans la simplicité de ce médium qui m’interpelle. Un outil près de la matière première et avec lequel je dois créer sans compter sur le pouvoir émotionnel des couleurs. Ça me pousse à faire des images plus fortes, je crois. De plus, la paresseuse en moi est comblée du fait qu’il n’y a pas de préparation ou de nettoyage de matériel à faire! Sinon, pour la loupe, j’ai bien peur que l’âge y soit pour quelque chose [soupir!]. Mais ça m’aide à travailler plus précisément… et à devenir un tantinet maniaque!

Vous avez fait votre entrée dans les librairies en 2016 avec Terminus, un roman qui mettait à profit vos sept années d’expérience en tant que conductrice d’autobus. Qu’est-ce que cette parenthèse dans votre vie d’artiste (vous étiez avant graphiste et designer télévisuel) vous a apporté de positif? Et pourquoi en avoir tiré un roman?
M’éloigner de mon univers artistique m’a fait réaliser que j’étais une artiste. Que la création n’était pas qu’un simple intérêt et qu’elle m’était vitale! À l’époque, loin de mes racines, j’étouffais et Terminus est sorti de moi comme un cri de désespoir. Un souffle libérateur qui m’a poussée à reprendre le contrôle de ma vie et à retourner sur le bon chemin.

Illustration tirée du livre Le poids de la couleur rose (Alice Jeunesse) : © Nathalie Lagacé

Dans Le poids des seins, vous abordez la poitrine féminine dans toute sa complexité, de son éclosion au poids du désir qu’elle évoque, de son existence sous toutes ses formes : des seins-phares, des seins-combats, des seins épanouis, des seins-fleurs et des seins au nectar de vie. Pourquoi avoir voulu faire un ouvrage à la fois instructif et poétique sur cette thématique?
Encore aujourd’hui, il est nécessaire de faire appel à la vigilance face aux droits des femmes, de conscientiser sur la fragilité de nos acquis et raviver cette fierté féminine qui donne envie de brandir le poing haut et fort dans les airs. La beauté dans ce projet — qui au départ se voulait purement revendicateur —, c’est qu’il s’est transformé en quelque chose de plus grand. Comme une aura féminine apaisante. Sa forme poétique y est sûrement pour quelque chose. J’ai pu faire danser le tout avec force et douceur.

Vos images cachent souvent des métaphores ou des symboles puissants. Vos mots aussi. Est-il plus facile selon vous d’aborder certains sujets par le truchement de cette figure de style?
Ça permet de faire un petit détour et d’amener des sujets plus difficiles en évitant l’affront direct. Ça crée parfois même de l’émerveillement dans la découverte et la compréhension de ce qui s’y cache. Pour moi, c’est un appel à la créativité du lecteur!

Extrait tiré du livre Entre le lapin et le renard (Isatis) : © Nathalie Lagacé

Vous avez publié en 2021 chez Alice Jeunesse Le poids de la couleur rose. Un roman qui parle d’amitié, de harcèlement, mais surtout de la condition des filles et des femmes. Vous y abordez les changements du corps, le changement du regard des autres — et de soi-même — sur ce corps. Mais vous abordez également ce qu’il y a d’excitant à grandir et à laisser l’enfance derrière soi. En quoi un tel roman peut-il apporter un soutien aux lectrices qui le liront?
Je crois qu’à travers les réflexions de ma protagoniste, les jeunes filles pourront trouver les mots pour faire face aux bouleversements de l’adolescence. Qu’elles pourront mieux extérioriser leur malaise et se sentir moins seules. Elles seront aussi invitées à voir les choses sous un angle différent, par le biais des autres personnages. Une vision constructive et inspirante!

Entre le lapin et le renard : Un conte dépourvu de fées est votre plus récente parution. Il paraît dans la collection « Griff » de l’Isatis, qui a pour objectif de raconter une réalité non édulcorée et de dénoncer les inégalités, en abordant des thèmes engagés ou controversés afin de susciter constructivement les réflexions. Votre ouvrage parle de la manipulation en amour, des relations toxiques, de violence protéiforme. L’ouvrage se termine d’ailleurs sur douze pages d’explications, de conseils, de ressources, d’exemples bien précis de formes que peut prendre la violence. Quel a été le plus grand défi pour vous en choisissant d’aborder une telle thématique?
Le plus difficile a été de trouver la bonne façon d’exprimer la violence sans tomber dans la facilité. Jumeler les mots doux à la brutalité du récit et créer des images plus symboliques que descriptives. J’avais aussi le défi de couvrir la manipulation et la violence dans toute leur complexité, dans différents contextes, mais en peu de mots, pour en faire un outil de prévention efficace et facile d’utilisation.

Extrait tiré du livre Le poids des seins (Isatis) : © Nathalie Lagacé

Entre le lapin et le renard met en scène le personnage d’un rusé renard qui prend l’aspect d’un lapin pour approcher sa victime, présentée sous la forme d’une oiselle. Pourquoi ce choix de faire de vos personnages des animaux?
Tout est parti de l’expression « Je vis un conte de fées! ». Un sentiment qu’une personne manipulatrice prend grand soin de créer chez sa victime en début de relation. Ça m’a inspiré une forme fantastique du récit. Un conte où l’histoire est renforcée par la symbolique des personnages sans passer par une personnification précise.

Faire des livres a-t-il toujours été un objectif auquel vous teniez?
Oui et non. La compétition est si forte que je n’ai jamais osé y croire vraiment. Je me sens tellement à la bonne place! Comme quoi il faut parfois oser.

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