Son style déborde autant de couleurs que de vie et incite à l’exploration visuelle pour dénicher les éléments qui ici se cachent, là s’affirment. Mathieu Potvin, en plus d’avoir un don assuré pour l’illustration, est un artiste qui fait preuve d’intelligence et de créativité afin de rendre en images des mandats aussi diversifiés qu’une étiquette de vin, un poème animé ou un numéro dédié aux charmes du Japon! Quiconque l’observera en action sera étonné de le voir œuvrer, son poing gauche fermé sur son crayon : c’est qu’il a compris qu’il faut parfois oser rester soi-même pour percer!

L’Asie vous inspire énormément, de même que les cultures du monde en général. De quelle façon utilisez-vous ces inspirations dans vos œuvres, et dans quel but?
C’est une fascination que j’ai depuis toujours. J’aime intégrer des clins d’œil aux affichistes japonais dans mes compositions, particulièrement le travail de Tadanori Yokoo. Les codes graphiques utilisés par ces artistes sortent beaucoup de ceux utilisés ici. J’aime les observer et les analyser afin de faire voyager mes spectateurs et de les ouvrir à l’inhabituel. Je crois d’ailleurs que c’est dans cet esprit de partage qu’on peut créer des ponts essentiels et riches entre les individus. Il faut se parler, échanger dans le respect et l’envie d’en apprendre sur l’autre, qu’il vienne d’ici ou d’ailleurs.

Illustration de l’étiquette de la bière Concubine, de la Brasserie Dunham.

Parlez-nous de la couverture que vous avez illustrée pour le présent numéro des Libraires et du choix de ce haïku de Bashō, dont la traduction en français est « Paix du vieil étang / Une grenouille plonge / Bruit de l’eau ».
Les haïkus nous prouvent que quelques mots suffisent à porter tout un monde. Cette caractéristique a hautement excité mon naturel maximaliste! J’ai voulu offrir au lecteur la double analyse de ce poème classique qui d’un côté offre une version contemplative et, de l’autre, le mouvement enclenché par le saut de la grenouille.

Vous avez participé au collectif Le Montréaler, un projet réunissant une cinquantaine d’artistes qui expriment leur vision de la métropole par le biais de la couverture d’un magazine fictif. Les œuvres exposées ont ensuite été publiées dans un ouvrage du même nom aux éditions Somme toute, d’ailleurs lauréat du Grand Prix Illustration 2019 du Concours Lux. En quoi une telle proposition est-elle inspirante pour un artiste, pour vous?
Bien que j’aie grandi à Mascouche, vivre en ville fut toujours dans mes plans. Plus jeune, c’est le groupe Beau Dommage qui m’a fait rêver de Montréal par sa musique. Quand on m’a approché pour faire partie de cette exposition, j’ai sauté sur l’occasion pour leur dire merci en images et souligner la marque qu’ils ont laissée dans la métropole et plus particulièrement dans Rosemont, le quartier où j’habite.

Vous avez récemment travaillé à l’adaptation en série d’animation pour Unis TV de la poésie de Jean-Christophe Réhel, Peigner le feu. Le recueil, comme la websérie, raconte l’entrée au secondaire d’un garçon un peu anxieux, dans une école immense qui lui rappelle « une forêt remplie d’animaux à apprivoiser ». Quels ont été les défis d’adapter des mots poétiques de la sorte ou, au contraire, qu’est-ce que cela a permis de très créatif?
Les mots de Jean-Christophe Réhel portent une grande charge émotive et c’est une matière première dans laquelle je m’épanouis beaucoup. Le personnage principal de Peigner le feu et moi partageons le même passage traumatisant au secondaire. L’inspiration pour ce projet était donc autant dans l’œuvre originale que dans mes tripes. En quelque part, j’ai dessiné le journal intime de cet ado qui est toujours bien présent en moi.

Vous avez illustré la couverture de certains romans pour adultes, dont En fuite et Comme des animaux. Quelle lecture du roman devez-vous faire pour en tirer une seule illustration lorsqu’un tel mandat vous est attitré?
Bien que ce soit la plupart du temps dans les premières pages d’un roman que je trouve l’idée d’une couverture, j’en lis toujours la totalité. Ça m’aide à comprendre l’ambiance, le ton et le style d’écriture que je dois synthétiser. Ça me donne aussi les moyens de le faire dans l’intégrité du travail de l’auteur ou de l’autrice.

Après des études en graphisme, vous avez été recherchiste pour la télévision, notamment pour Un souper presque parfait. Pourquoi cette parenthèse « hors illustration » dans votre vie et qu’est-ce que cela a ajouté à votre démarche d’artiste?
Sans mon escale dans le monde de la télévision, je ne serais probablement pas illustrateur aujourd’hui. C’est par l’entremise d’une recherchiste avec qui je travaillais que j’ai rencontré Maryse Pagé, elle aussi issue de l’univers télévisuel. C’est grâce à elle que j’ai eu ma première chance dans le milieu, particulièrement en édition jeunesse. Je leur dois beaucoup…

Votre style a beaucoup évolué depuis vos collaborations pour la série Ce livre n’est pas un journal intime, de Maryse Pagé, ou encore la BD Vendredi 13 : Le mystère de l’homme-pieuvre. Qu’est-ce qui fait évoluer un artiste rapidement et qu’est-ce que ces premiers pas dans l’illustration liée au domaine de l’édition vous ont appris?
Ces deux projets sont arrivés au tout début de ma carrière il y a presque huit ans maintenant. Je me cherchais beaucoup et, étant inspiré encore aujourd’hui par une grande variété de styles, choisir m’était difficile. Ces projets ont été à la fois des laboratoires et des leviers pour comprendre ma direction artistique. Au final, j’ai appris à faire de mon approche visuelle une espèce de fourre-tout organisé!

Vous faites partie de l’équipe de mentorat Academos. En quoi vous tient-il à cœur de propager connaissance et amour des métiers de l’illustration?
C’est un devoir pour moi. Jadis, c’est la visite de Marisol Sarazin dans ma classe de deuxième année qui m’a fait comprendre que je pourrais bâtir ma vie d’adulte avec mes dessins d’enfant. Maintenant, j’espère pouvoir rendre ce qu’on m’a donné à ma façon.


Illustration de l’étiquette du vin Gold Halak, en hommage au gardien de hockey Jaroslav Halák.

Vous avez illustré quelques étiquettes de bières — et même de vin! Comment approche-t-on une telle commande? Comment mettre en images le goût?
En fait, le parallèle entre le monde littéraire et celui de l’alcool est plus évident qu’on peut le penser! On parle ici aussi de mettre en images le travail d’un autre artiste. Canaliser un goût à travers une approche visuelle, c’est aussi se laisser toucher par l’ambiance dans laquelle il nous transporte. De plus, les brasseurs ont souvent des plumes sublimes!

Photo de Mathieu Potvin : © Audrée Laliberté
Illustrations : © Mathieu Potvin

Publicité