Au cours des quinze dernières années, Louis-Karl Picard-Sioui a publié de nombreux romans et recueils, en plus de diriger Kwahiatonhk!, un organisme consacré à la promotion de la littérature des Premières Nations du Québec. Se décrivant comme un artiste chaman-guerrier de l’imaginaire, le créateur wendat multiplie les occasions de refaçonner le monde.

L’expression qu’il utilise pour se présenter est tirée d’une théorie du sociologue Guy Sioui-Durand. « J’abonde dans le même sens que lui quand il dit qu’être un artiste autochtone, c’est être engagé, que tu le veuilles ou pas. Le combat se fait d’abord dans la sphère de l’imaginaire collectif qu’on doit changer. »

Sa propre perspective est influencée par ses origines wendat, son bagage d’historien et d’anthropologue, ainsi que par le syndrome de Gilles de la Tourette. « C’est extrêmement difficile pour moi de me fermer la boîte quand c’est le temps et j’ai beaucoup de difficulté avec le silence. J’essaie d’éviter les médias sociaux, parce que ce n’est pas bon pour moi. » Pas surprenant qu’il multiplie les occasions de s’exprimer autrement. Finaliste au Prix du Salon international du livre de Québec, section jeunesse, en 2006, avec son premier livre Yawendara et la forêt des Têtes-Coupées, il publie ensuite des nouvelles dans différents collectifs (Amun, De la paix en jachère, Les grandes absences) puis son premier recueil, Chroniques de Kitchike : La grande débarque. Il a également parcouru le pays et la planète pour scander sa poésie.

Une façon pour lui de naviguer d’un genre littéraire à l’autre sans se limiter. « J’ai toujours refusé les catégorisations artistiques. L’art vient avant tout d’une façon d’être au monde qui fait qu’on capte les craintes, les espoirs et les malaises d’une société. Si on a du talent pour recycler ça artistiquement, on peut dire qu’on devient artiste. Cela dit, l’art exige des frontières poreuses. Il doit y avoir une communication entre l’artiste et le monde, et entre les disciplines. » Quand il se lève le matin avec une idée, il ne sait pas d’emblée quelle forme elle prendra. « Je suis quelqu’un qui s’ennuie rapidement et qui a besoin d’essayer souvent de nouveaux trucs. J’aime me mettre en danger. »

Et la gestion d’un organisme culturel est un « danger » en soi pour Louis-Karl Picard-Sioui. « Je ne peux pas dire que je suis très bon gestionnaire. Quand Kwahiatonhk! a été fondé en 2015, ça prenait quelqu’un pour le diriger, alors j’ai plongé, mais ça ne cesse de grossir et de grossir. On a besoin de bras. Heureusement, le conseil d’administration m’aide beaucoup et j’aime ça, monter des projets. »

En effet, il se donne corps et âme afin de mettre en lumière les littératures autochtones à travers le Québec. L’organisation qu’il dirige assure le développement de nouvelles plumes, leur promotion et leur diffusion avec des initiatives comme le Salon du livre des Premières Nations, un spectacle de bingo littéraire ou des expositions multidisciplinaires. « On est de plain-pied avec le milieu du livre, mais à l’extérieur de la sacro-sainte chaîne du livre composée des auteurs, des éditeurs, des distributeurs, des magasins, des bibliothèques, des salons du livres et des festivals. On travaille avec l’ensemble des maillons. Notre objectif est vraiment de faire avancer la cause des littératures autochtones. »

Pas surprenant qu’il apprécie l’initiative En juin : Je lis autochtone!, mise sur pied en 2021. « Je travaille depuis une vingtaine d’années dans la diffusion des arts autochtones et ça peut être assez long avant que le milieu embarque, de manière générale. Donc, je trouve ça très intéressant que le milieu du livre entre en scène à nos côtés. Depuis 2011, le Salon du livre des Premières Nations est un moment fort dans l’année en novembre. Et maintenant, un autre moment phare vient faire écho à nos efforts en juin. »

Quand on lui fait part de l’intérêt grandissant pour les artistes autochtones qu’on perçoit chez les allochtones, il est on ne peut plus d’accord. « C’est clair que l’engouement est de plus en plus généralisé depuis cinq ans. Les populations québécoise et franco-canadienne sont de plus en plus intéressées par ce que nous avons à dire. »

Cet élan de découverte n’a pas que du bon, alors que la vingtaine de plumes autochtones québécoises qu’il a répertoriées ne suffisent pas à la demande des organismes culturels, des ministères et des entreprises privées qui élaborent des projets en lien avec les cultures autochtones. « Cet engouement met une pression sur les créateurs. On est sursollicités. Sur les médias sociaux, je vois souvent des artistes autochtones annoncer dès janvier que la suite de leur année est pleine. On prend le risque d’épuiser les gens et qu’ils passent à autre chose. »

Autre piège potentiel : que ces derniers soient instrumentalisés par une organisation. « Le risque est très présent pour tout artiste membre d’un groupe marginalisé. » Avec l’accent mis par le Conseil des arts du Canada pour encourager les échanges entre Autochtones et allochtones, de plus en plus d’organisations veulent donner la parole aux Autochtones. Mais pas toujours de la bonne manière. « Il y a parfois un manque de sensibilité et de tact. De façon minoritaire, j’ai aussi vu des organisations qui avaient besoin d’argent imaginer des projets avec des Autochtones et tenter d’obtenir une subvention en se trouvant un Indien de service. » Même en voulant bien faire, d’autres gestionnaires se révèlent totalement maladroits. « Je dois parfois leur faire prendre conscience que leur projet ne considère pas du tout l’artiste autochtone. Ils ont un projet ou ils soutiennent celui d’un artiste allochtone en espérant que l’artiste autochtone va cadrer là-dedans. Ce n’est pas ça, la décolonisation. »

Louis-Karl Picard-Sioui prend aussi le temps de mettre en garde les artistes issus des Premières Nations. « Je leur demande si le projet est vraiment bon pour eux ou s’il les amènera dans une direction complètement différente de celle espérée pour leur carrière. Au final, le projet doit leur être bénéfique. »

Sa plus récente parution :
YAWENDARA ET LA FORÊT DES TÊTES-COUPÉES (Hannenorak)
Yawendara et la forêt des Têtes-Coupées - Louis-Karl Picard-SiouiPour sauver son village de la malédiction qui le ronge, la jeune Yawendara, une enfant wendat courageuse, devra se rendre dans la forêt des Têtes-Coupées et braver tous les dangers, y compris le chef des monstres qui rôdent dans les bois : Fils-Areskwe. Un roman jeunesse à l’écriture colorée qui vous amène au cœur de la cosmogonie, des traditions et des croyances wendat. Dès 10 ans

 

 

 

Photo : © Hélène Bouffard

Cette entrevue est tirée du carnet Je lis autochtone!

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