La dessinatrice Caroline Lavergne saisit ce qu’elle observe et ce qui l’entoure grâce à sa plume et ses aquarelles. Pour illustrer son premier livre, Les platanes d’Istanbul (Du passage), elle a séjourné à Istanbul où son amie Tassia Trifiatis-Tezgel, l’auteure du livre, a vécu pendant trois ans. Caroline Lavergne a donc pu s’imprégner de la ville et capter l’essentiel pour mettre en images les mots de l’auteure racontant son quotidien à Istanbul. Il en résulte un splendide livre qui témoigne d’une histoire d’amitié et un récit de voyage oscillant entre journal intime et roman graphique, teinté de douceur, de poésie et de sensibilité.

Qu’avez-vous le plus aimé dans le fait d’illustrer votre premier livre, Les platanes d’Istanbul?
Les dessins qui apparaissent dans Les platanes d’Istanbul ont tous été faits sur place. J’ai dessiné Istanbul au fil de mes promenades — parfois aléatoires, parfois sur la base de missions spécifiques. À mon arrivée, Tassia et moi nous sommes entendues sur un canevas et des thèmes. Plutôt que la Constantinople de notre imaginaire, notre regard se porterait sur l’Istanbul qui s’étale, habitée par des millions de marchands, bouchers, employés de bureau, femmes à la maison. Pour découvrir une ville, rien de mieux que de la dessiner.

Est-ce un grand défi que de mettre en images les mots de quelqu’un d’autre?
Pas du tout : ça me permet de demeurer en marge, sans me mouiller. C’est l’auteur qui a la charge de la pertinence, de la narration. Les mots de l’auteur le révèlent intimement au lecteur. Dans Les platanes d’Istanbul, les dessins contribuent à créer l’ambiance et ils expriment mon propre point de vue sur le sujet, mais ce n’est pas moi qu’ils illustrent. Cela dit, je me contente de moins en moins de donner vie aux idées des autres. J’ai envie de me mouiller en écrivant mes propres histoires — même si ça me terrifie.

Vous êtes allée à Istanbul pour vous imprégner de la ville pour ce projet. Comment avez-vous trouvé cette expérience?
Les premiers jours, tout était nouveau, j’avais besoin de vivre la ville avant de la dessiner. En prenant ma plume et mon carnet, je sortais du paysage, je devenais observatrice. J’ai fini par trouver mon rythme. Le jour, je faisais des dessins in situ à la plume. Le soir, bien installée dans ma chambre, je coloriais les traits à l’aquarelle à partir de photos de référence et de mon souvenir de l’ambiance de la scène. Parfois, je mettais les couleurs sur place, mais ça dépendait beaucoup du niveau de mon confort. Par exemple, je me serais mal vue, à cinq mètres à peine d’un homme qui bûchait du bois dans une rue déserte, sortir en plus mon aquarelle pour compléter le dessin. J’ai fait quelques traits, pris rapidement une photo de référence avec mon mobile, fait un sourire gêné et j’ai continué mon chemin. Le tout a pris moins d’une minute.

Quel rapport entretenez-vous avec l’aquarelle avec laquelle vous dessinez?
Les lignes à l’encre noire et l’aquarelle me permettent de rendre rapidement l’essence et le mouvement de ce que je me suis arrêtée pour dessiner. Je fais d’abord les traits, puis je précise la lumière et les masses avec l’aquarelle. Cette technique m’oblige à garder la main souple pour traduire le plus honnêtement possible ce que je vois devant moi.

Avez-vous une autre grande passion que l’illustration?
Cueillir des fruits sauvages. Trouver des talles de chanterelles. Marcher sur de la mousse quand il y a de la brume.

Avez-vous un autre projet de livre?
Je suis présentement au Japon pour dessiner Tokyo, un peu comme je l’avais fait pour Les platanes d’Istanbul, mais avec l’intention, cette fois, de tisser aussi la narration. Mon quartier général est Almost Perfect (almostperfect.jp), une nouvelle résidence qui offre à des créateurs étrangers un logement, un espace de travail partagé avec des illustrateurs locaux, ainsi qu’un espace d’exposition. Je vous invite à suivre l’aventure sur Instagram : @carolinedessine.

En quoi les voyages vous inspirent-ils pour créer?
La source principale de mon inspiration, c’est regarder ce qui m’entoure. J’aime vraiment beaucoup ça regarder les choses. En voyage, non seulement tout est nouveau, mais en plus, mon superpouvoir d’observation est réglé au maximum. Je suis là pour découvrir comment les gens vivent, pour voir tous les détails qui expriment les différences et les similitudes entre ma culture et la leur. Je traîne aussi mon kit dans ma propre ville, Montréal, mais j’ai le regard moins aiguisé, j’ai l’impression d’avoir tout vu mille fois. Quand je serai grande, j’apprendrai à tout le temps regarder le monde comme si j’étais en voyage.


Photo : © Jimmy Hamelin

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