Depuis 2017 a lieu le Salon des aînés de Saint-Jérôme. Cette année, il se tiendra le samedi 17 septembre au Quartier 50+. Cet événement, qui compte de nombreux visiteurs et visiteuses provenant d’un peu partout de la région des Laurentides, a pour but de rassembler en un même lieu les ressources existantes spécifiques aux aînés. Il souhaite également accorder une visibilité positive des personnes plus âgées de notre société, démontrant que vieillir peut se faire dans le bonheur! Y compris la question de la lecture, qui se pratique à tout âge. Les actrices Béatrice Picard, marraine du Salon, et Louise Latraverse, sa porte-parole, en sont la preuve. Femmes dynamiques et inspirantes, elles nous parlent de quelques-uns des livres qui les ont fait réfléchir et rêver.

En discutant au téléphone avec Béatrice Picard, on comprend tout de suite que les livres ne lui sont pas étrangers. Elle commence par nous présenter le décor : chez elle, à côté d’un fauteuil, trônent en permanence sur une table des piles de bouquins en cours de lecture. C’est là que sont posés ces objets en apparence immobiles, mais qui la font voyager dans toutes les directions. Chaque fois qu’elle en nomme un, au hasard, celui-ci lui évoque une histoire, une émotion, une atmosphère. « Anthologie de la poésie des femmes au Québec de Nicole Brossard et Lisette Girouard, ça fait longtemps que je l’ai celui-là! », lance-t-elle. Elle l’a ressorti lorsqu’elle a eu à imaginer, avec sa complice Marie-Josée Longchamps, un spectacle sur la langue française au Québec.

Enchantée, elle le fut aussi par sa lecture de Toutes celles que j’étais de l’autrice Abla Farhoud, récit d’une femme qui, à l’âge de 6 ans, immigre au pays avec sa famille. « C’est bien de voir comment une personne qui est arrivée au Québec et qui n’avait rien demandé — ce sont les parents qui sont venus avec les enfants — s’est adaptée, explique-t-elle. Ça n’a pas toujours été facile, mais c’était une petite fille très vivante qui même à l’école était une chef de file, quoi! » Ce récit d’une enfant capable et volontaire a exercé une vive fascination chez madame Picard, qui en parle avec un enthousiasme patent.

Le lecteur et la lectrice ont tous les droits
Dans un autre ordre d’idées, celle-ci a beaucoup aimé 80, 90, 100 à l’heure!, des entrevues réalisées avec quatorze octogénaires et nonagénaires qui rendent compte de la vie qu’ils et elles ont vécue et que l’on peut lire tranquillement, un témoignage à la fois. Car il y a plusieurs approches de lecture selon Béatrice Picard. Parfois on dévore un roman d’un bout à l’autre, mais d’autres fois on lit à petites doses, on le laisse reposer, puis on y revient. On peut bien sûr commencer par le début, mais rien ne nous empêche d’ouvrir au milieu et de voir ce qu’il en est ou de revenir en arrière pour relire un passage, nous imprégnant de la grâce d’une métaphore spécialement bien tournée ou cogitant les bases d’une idée neuve. « La lecture, c’est une évasion qui peut nous apprendre à penser, renchérit la femme de théâtre. Je ne tiens pas nécessairement tout pour acquis, mais cela m’aide à former mon propre jugement. » Pour celles et ceux qui ont moins de place pour conserver des tonnes de livres à la maison, elle suggère les bibliothèques publiques et souligne le fait qu’elles existent pour tous et toutes. Et si l’on n’est pas sûr de ce que l’on aime, on ne doit surtout pas craindre de demander conseil.

La comédienne n’est cependant pas toujours en état de disponibilité et peut passer une semaine entière sans lire du tout. On peut s’offrir aussi la liberté de délaisser les bouquins pour quelque temps, question de mieux y revenir après quelques jours et de s’apercevoir qu’on ne peut plus s’arrêter de pirouetter les pages. Il existe autant de types de lectures qu’il y a de livres et c’est pour cette raison qu’il vaut la peine de tenter toutes sortes d’aventures pour aller à la rencontre de ses préférences. « Il ne faut pas hésiter à regarder ce qu’est notre littérature, continue madame Picard. Ici au Québec, c’est tellement beau ce qu’on peut écrire! » Et il n’est pas obligé de s’investir pour de longues heures; on peut tout aussi bien lire un gros pavé d’un millier de pages que de brèves biographies destinées au premier abord à la jeunesse, comme celles que proposent, nous renseigne notre invitée, les éditions Petit Homme sur des thèmes aussi divers que l’Expo 67, René Lévesque ou encore Félix Leclerc. Une belle façon de traverser les époques et les sujets sans s’engager dans de grandes incursions. Petit à petit, on aura peut-être envie d’en savoir davantage et d’entreprendre d’autres trajets.

Le charme des mots
Sans jamais manquer d’éloquence, l’actrice Louise Latraverse atteste trouver chez les auteurs et les autrices une manière d’apprendre à vivre. « Avec leur imaginaire, ils vont créer des personnages qui vont nous toucher, auxquels on peut s’identifier, exprime-t-elle. Et on aime se perdre dans la vie des autres, ça nous fait oublier la nôtre. » C’est en quelque sorte ce que souhaitait formuler Virginia Woolf quand elle a écrit en 1929 Une chambre à soi. En parallèle du train-train quotidien, posséder un espace personnel, tant physique que mental, afin de laisser le réel comme l’irréel prendre son expansion et garantir un périmètre fertile à la constitution d’une œuvre. « C’est cette revendication qu’elle va faire à l’époque où l’on est en Angleterre dans un milieu rigide, elle va se rebiffer contre ça et s’enfermer dans sa chambre pour créer, dit la comédienne. C’est la libération, c’est le début du féminisme d’une certaine façon! »

D’un autre genre, mais avec des intentions similaires d’émancipation, la Bérénice de Réjean Ducharme dans L’avalée des avalés cherche à se déprendre de l’angoisse qui l’enserre. « Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. » L’imagination reste la soupape qui lui permet de tenir, qui l’empêche de disparaître complètement. « La vie ne se passe pas sur la terre, mais dans ma tête. » Voilà certainement une des facultés les plus ébahissantes des écrivaines et des écrivains : faire éclore à même leur esprit les fondations d’un monde habitable qui deviendra pour le lecteur ou la lectrice un repaire, un refuge, la pierre angulaire d’un chemin de pensée. Pour Louise Latraverse, cet élément révélateur qui agit comme une bougie d’allumage, elle l’a trouvé dans Passagère du silence de Fabienne Verdier, un récit dans lequel l’autrice raconte son départ pour l’Orient afin d’y recevoir, dans les régions les plus recluses de la Chine communiste, les enseignements de grands calligraphes qui ont préservé, faisant fi des modes en vigueur, les méthodes ancestrales de cet art millénaire. « J’aimerais que les gens puissent découvrir cette femme, son besoin de s’affirmer et d’être l’artiste qu’elle est, déclare la lectrice convaincue. Je suis toujours touchée par ces livres-là, particulièrement ceux des femmes. Prendre la parole, dire ce qu’on a à dire, c’est certain que ça, c’est ma quête. »

La splendeur des phrases de Sylvain Trudel dans La mer de la tranquillité ravit autrement, mais pas moins intensément, madame Latraverse. Ce recueil de neuf nouvelles marquées par l’originalité et la sensibilité d’une plume unique, une des plus belles du Québec d’après notre interlocutrice, énonce l’étrange existence des êtres, vacillant à jamais entre la joie et le désespoir, mais n’aspirant qu’à rencontrer la paix et le repos de l’âme. « Il faut avoir lu ce livre pour voir la beauté du langage, insiste-t-elle. Rien ne m’aura fait autant vibrer, je crois, que l’écriture de Sylvain Trudel. » Elle ne déplore que le fait qu’il ait très peu écrit et qu’il ait cessé de le faire, son plus récent titre publié remontant à une quinzaine d’années.

Les conseils littéraires de Béatrice Picard, 92 ans, et de Louise Latraverse, 81 ans, confirment avec éclat que lire se pratique à n’importe quelle période de la vie. « Laissez-vous porter par la lecture, il faut être curieux », rétorque la première à ceux et celles que la rigueur rebuterait. Rechercher ce qui nous plaît en n’exigeant rien d’autre que le plaisir de nous laisser transporter. Quant à la seconde, elle ajoute que « les écrivains sont là pour nous raconter la vie, pour nous faire réfléchir sur ce que les êtres humains vivent ». C’est l’auteur Tahar Ben Jelloun qui disait : « Une bibliothèque est une chambre d’amis. » On ne saurait dire mieux, car avec un livre, on est toujours bien accompagné.

Louise Latraverse, Béatrice Picard, Michel Forget, Diane Lamarre et d’autres invités mystères seront au Salon des aînés de Saint-Jérôme, le 17 septembre, pour y faire des prescriptions littéraires. Passez les voir : ils ont des lectures à partager!
Pour plus d’information : salondesaines.ca/fr

Photo de Louise Latraverse : © Guillaume Nadon 

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