Pascal Assathiany : Valoriser la lecture

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Fondées au lendemain de la fin du règne duplessiste, les éditions du Boréal célèbrent cette année leur quarantième anniversaire. C’est l’occasion de jeter un éclairage sur leur histoire, elles qui avaient d’ailleurs fait de l’histoire discipline leur domaine de prédilection, avant de prendre d’assaut tout le champ littéraire. Rencontre avec Pascal Assathiany, l’actuelle éminence grise de cette maison devenue emblème des réussites récentes en littérature d’ici.

Les premiers pas

C’est à Trois-Rivières en 1963 que, sous l’impulsion d’une poignée de passionnés d’histoire — le professeur Jacques Lacoursière, l’historien Denis Vaugeois, l’abbé Gilles Boulet et quelques autres — naît le Boréal Express, journal consacré à l’histoire du Canada et du Québec. Au fil des ans, cette publication allait engendrer une maison d’édition du même nom, d’abord spécialisée en histoire, puis offrant une production plus diversifiée. Pour ces pionniers et fondateurs, l’idée était de développer chez le peuple québécois qui entrait dans l’ère de sa Révolution tranquille une conscience historique de manière à foncer dans l’avenir avec un œil éclairé.

Après avoir travaillé en librairie puis dans le domaine de la diffusion-distribution, Pascal Assathiany fera son entrée au Boréal à la veille d’une nouvelle ère : « Mon arrivée dans le monde de l’édition s’est faite progressivement, raconte candidement Assathiany, personnage haut en couleur et assez controversé dans le milieu. Au début, je travaillais à la librairie Leméac à Montréal, où je promenais le chien et déballais des boîtes, alors que je m’imaginais avoir été embauché pour lire et pour conseiller les lecteurs. J’ai travaillé aussi dans différentes librairies et un jour je me suis aperçu que la diffusion des livres au Québec n’était pas tout à fait adéquate. Donc j’ai engueulé vertement les gens des éditions du Seuil, dont les livres étaient peu disponibles ici. Et ils m’ont répondu : puisque vous êtes si malin, occupez-vous-en ! »

C’est de cette engueulade et de cette mise au défi qu’est né Diffusion Dimédia, que Pascal Assathiany dirige toujours parallèlement aux éditions Boréal. « Parce qu’on avait mis sur pied une structure qui fonctionnait bien, on n’a pas tardé à prendre sous tutelle des éditeurs québécois qui étaient mal distribués. Denis Vaugeois est alors venu nous voir pour qu’on s’occupe des éditions du Boréal Express. C’est comme ça que je me suis approché de l’édition proprement dite : quand Denis Vaugeois est devenu ministre et qu’il a passé le flambeau à Antoine Del Busso, ce dernier m’a demandé de me joindre à l’équipe éditoriale. Voilà comment je suis devenu partenaire des éditions du Boréal Express en 1978, pour ensuite en prendre la direction générale. »

D’un régime à l’autre

Sans doute me trouvera-t-on mal placé pour faire une pareille remarque à Pascal Assathiany, mais on ne peut s’empêcher de se demander comment il arrive à concilier la direction du Boréal avec celle de Diffusion Dimedia, les jours n’ayant après tout que vingt-quatre heures et les semaines sept jours pour tout le monde. « En fait, on met tout sous le nom d’une seule personne alors qu’il y a derrière elle des équipes : d’abord, les permanents de l’édition, qui sont extraordinaires; il y a l’équipe à la diffusion dirigée par Serge Théroux avec Johanne Paquette et Gabrielle Cauchy aux relations de presse, des gens dynamiques et autonomes; il y enfin une équipe éditoriale, sous la houlette de Jacques Godbout et de Jean Bernier, composée d’André Ricard, Paul-André Linteau, Hélène Girard et Catherine Germain. »

Au fil des changements de régimes et des années, les éditions du Boréal Express ont abandonné avec la dénomination « Express » leur vocation initiale pour faire de la littérature générale, voire du roman (tant littéraire que populaire), leur principal fer de lance. « Je ne dirais pas ça, objecte Pascal Assathiany. Le roman, c’est ce qu’il y a de plus visible, mais il y a toujours chez Boréal de l’Histoire (sous la houlette de Paul-André Linteau), toujours des essais en sciences sociales, sciences humaines (sous la responsabilité de Jean Pichette). Disons que des strates se sont ajoutées, sans qu’on renonce aux précédentes. »

Tous azimuts

C’est déjà une chose d’avoir dans son écurie des vedettes telles que Marie Laberge — dont les ventes engendrent plus de profits que bien des subventions gouvernementales. Mais dans le petit milieu littéraire québécois, parfois mesquin, on parle beaucoup, souvent avec envie, voire avec hargne, des succès à l’étranger des livres du Boréal — en traduction ou en coédition. Posons la question, alors. Cette histoire de rayonnement international est-elle une priorité pour Pascal Assathiany ? « C’est un effort complémentaire. Quand un auteur écrit et publie, c’est d’abord parce qu’il veut être lu. Le problème, c’est que nous vivons dans un petit marché, tout juste six millions de lecteurs potentiels. Or, l’auteur espère être lu par l’ensemble de lecteurs francophones disponibles. Je crois donc qu’il est du devoir d’un éditeur d’essayer de trouver les moyens de faire circuler les livres en français dans toute la francophonie, ce qui n’est déjà pas facile, et de les faire traduire dans le plus de langues possible pour que ces textes soient véritablement lus partout à travers le monde. »

Quand on l’interroge sur les défis auxquels, selon lui, devront faire face les éditions du Boréal et l’édition québécoise en particulier, Pascal Assathiany répond sans hésiter : « Je préfère parler au nom de tous mes pairs ; de toute façon, ni Boréal ni aucun éditeur ne réinventera l’édition, qui a d’ailleurs tellement peu changé depuis l’époque de Balzac. Il y a cependant une valorisation de la lecture beaucoup plus importante qui doit être faite dans notre société. Je pense que de manière générale la littérature et la culture ne sont pas aussi valorisées qu’elles devraient l’être : par exemple, il est tellement rare qu’on entende l’un ou l’autre de nos gouvernants parler d’un livre qu’il aurait lu, d’une exposition à laquelle il aurait assisté ! »

Pascal Assathiany ne saurait si bien dire, en cette ère de grisaille où les champions du néolibéralisme triomphent à droite, loin de la gauche, et où l’on vend au public comme le nec plus ultra de la culture les paillettes et le toc des Star Académie et tutti quanti. Malgré la conjoncture, le patron du Boréal ose envisager l’avenir sans plier l’échine. Et quand on mesure le chemin parcouru par la maison, depuis le journal historique des débuts jusqu’aux succès locaux et internationaux que l’on sait, on le comprend.

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