Emmanuelle Bouet: Libraire du monde

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Emmanuelle Bouet n’a qu’à tendre le bras pour caresser l’Afrique, l’Inde ou l’Europe du bout des doigts. Depuis neuf ans, elle travaille à la librairie Ulysse, au centre-ville de Montréal, et si elle regrette le contact continu avec la littérature mondiale, les sciences humaines, l’art et la littérature jeunesse qu’offrent les librairies généralistes, elle a largement trouvé de quoi se consoler dans ce sanctuaire du voyage.

« Dans une librairie de voyage, le conseil apporté aux clients est plus concret, mais il me permet – directement ou indirectement – de promouvoir la beauté du monde et de ses cultures, en soulignant au passage le besoin de les préserver. » Bien sûr, il y a les clients qui se plantent devant elle en claironnant « Bali », sans préambule, mais il y a aussi tous les autres, avec qui elle partage un petit quelque chose de magique. Après tout, c’est souvent derrière les portes de sa librairie que commence leur voyage. Elle se souvient par exemple de cet homme qui avait travaillé toute sa vie dans le Nord et qui était venu acheter un guide de conversation français-russe et un autre sur le Transsibérien. « Après avoir vu une émission sur la Russie, il avait envie de rencontrer ces hommes qui parlaient avec émotion de leurs forêts de bouleaux blancs et des battures de la Volga. Or, j’ai un frère russophone, Benoît, qui a vécu en Sibérie, révélation qui a rendu mon client tout rêveur… » Sa collègue Solenne a dernièrement eu la visite d’un monsieur qui, en payant son guide de voyage, lui a confié que c’était la première fois qu’il achetait un livre. Émouvant, n’est-ce pas?

Ses tâches et ses responsabilités accrues lui laissent malheureusement de moins en moins de temps pour dialoguer avec les clients. « Pour eux, je suis cependant associée à leurs voyages, et ils m’en font souvent part – un jour, un client m’a dit : “C’est incroyable, tous les bons souvenirs de voyage que votre visage m’évoque.” »

Si elle travaille essentiellement dans la librairie du 560, Président-Kennedy, près de la station de métro McGill, où la clientèle est surtout composée de gens d’affaires, il lui arrive aussi de faire quelques heures à la succursale sur Saint-Denis, où elle qualifie l’ambiance de détendue. « On nous dit souvent : “Je passerais des heures ici, c’est impressionnant le choix que vous avez… ça ne vous donne pas envie de partir partout dans le monde?” »

Évidemment, elle adore voyager, même si elle avoue que l’essentiel de son budget voyage sert désormais à faire l’aller-retour entre le Québec et la France, sa patrie d’origine. Elle en profite toutefois pour visiter des villes européennes… Est-elle du style à suivre à la lettre un guide de voyage ou plutôt du style advienne que pourra? « Dès qu’on part en voyage, hors de nos habitudes de vie et de pensée, l’inattendu vous prend par la main : je m’en suis aperçue dès mes premières pérégrinations, en arrivant dans un village irlandais du Burren où, à cause d’une fête locale, l’auberge de jeunesse était pleine. J’ai dormi dans la salle de bal municipale, convertie en dortoir pour l’occasion! » Comme quoi avoir un bon guide ne nous épargne par les mésaventures.

 

Choisir un guide adapté à ses besoins est, cela dit, important. Évidemment, elle n’a pas lu tous les ouvrages de référence qu’elle suggère à ses clients, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, « conseiller un guide de voyage est infiniment plus simple que de conseiller un roman! Les collections ont des caractéristiques bien distinctes, et je peux cerner assez rapidement les trois ou quatre guides les plus appropriés aux besoins de tel voyageur ou voyageuse, selon le type de séjour ou le mode de déplacement envisagé, le degré d’autonomie nécessaire, etc. Ensuite, je suggère de s’installer confortablement dans un de nos fauteuils et de prendre un bon quart d’heure pour comparer ces guides globalement, mais aussi en fonction d’un endroit précis : les meilleurs guides seront ceux qui vous donnent effectivement les informations dont vous avez besoin pour ce voyage-ci, et qui le font de façon claire et conviviale. »

 

Dans ma valise, je mets…

Et, parce qu’on n’a pas toujours les moyens de s’offrir un billet d’avion, on lui a demandé quelques suggestions de récits de voyage qui permettent de s’échapper à faible coût. Elle cite volontiers Lusage du monde de Nicolas Bouvier, qui reste un de ses livres de référence. « J’ai beaucoup aimé aussi En Patagonie, sans doute le plus inclassable de Bruce Chatwin, et les récits d’Ella Maillart, d’une chaleureuse simplicité », ajoute-t-elle. Elle regrette également que Partir en hiver de Göran Tunström soit si peu connu. L’auteur y raconte un séjour en Inde et au Népal avec sa compagne et leur jeune fils. Comme toute bonne libraire, la voilà lancée : « Coins perdus de Lawrence Millman est un vrai régal : ses rencontres en Islande, aux Féroé ou à Terre-Neuve y prennent un caractère à la fois fataliste et improbable. Enfin, j’aimerais souligner la qualité et la diversité des titres de la collection “Sillages”, chez Transboréal : je les ai offerts, prêtés et recommandés, chaque fois avec le même succès. Notamment Seule sur le Transsibérien, de Géraldine Dunbar, Sous les yourtes de Mongolie, de Marc Alaux, et Par les volcans du Kamtchatka, d’Émeric Fisset et Julie Boch. »

Chers lecteurs, vous ne manquerez pas de lecture cet été!

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