Se procurer le recueil Vieille Fille (Moult Éditions), c’est un peu comme acheter le journal intime de quelqu’un. Le graphisme de sa couverture en est révélateur! L’autrice de Québec y a réalisé un travail éditorial autour de quatre grands thèmes : la quotidienneté, le dating, l’infidélité et la détresse.

« C’est une écriture qui m’a brûlé les lèvres, page après page, et qui a agi comme une soupape d’échappement. Essentiellement, c’est tout ce que j’aurais voulu dire et que je ne me permets pas. Écrire sous pseudonyme, ça me permet aussi de me dégager complètement de ce que les lecteurs attendent de la jeune femme rangée que je suis. »

Nous vous connaissions déjà sous le pseudonyme de Bureau Beige avec Pensées pour jours ouvrables paru en 2017. En 2021, également chez Moult Éditions, vous voilà de retour en tant que Vieille Fille. Sous quel nom d’autrice souhaitez-vous être reconnue? Dites-en plus sur votre parcours.
Je suis devenue autrice par instinct de survie : survivre aux emplois exigeants, mais peu gratifiants dans la fonction publique avec Pensées pour jours ouvrables ou aux dates et histoires d’amour désastreuses avec Vieille Fille : notes intimes. Essentiellement, j’écris tout ce que je n’ai jamais osé dire ou rétorquer. On ne réalise pas assez les efforts que ça prend pour rester jour après jour une « bonne personne »; souriante, autonome, bienveillante, tempérée. Mes recueils ont joué un rôle de soupape d’échappement. D’ailleurs, je dis souvent à la blague que je n’ai pas l’air de ce que j’écris!

En publiant sous pseudonymes, j’ai réalisé que j’avais créé par la bande deux personnages distincts qui partagent le même malaise face à une réalité qu’ils trouvent détestable, sans pour autant la rejeter entièrement. Sans être marginalisés, autant Bureau Beige que Vieille Fille représentent l’antithèse de la réussite sociale. Et c’est souvent comme ça que je me sens! Tellement que je me suis déjà surprise à penser que si j’écrivais sous mon vrai nom, mes recueils perdraient automatiquement en valeur. Bref, j’en ai clairement pour quelques années de psychothérapie avant de publier sous mon vrai nom! Aussi, en changeant de pseudonyme à chaque recueil, j’expérimente autant le confort que le thrill de toujours recommencer à zéro, en bâtissant des univers qui sont propres à chacun des personnages que j’ai créés.

Avec des notions de base de « Vieille Fille » et notamment un chapitre intitulé « Dating », sans compter toutes ses « notes intimes » plus largement, avez-vous écrit ce recueil en vous inspirant en partie d’anecdotes partagées par d’autres « vieilles filles »? Quel a été votre processus d’écriture?
Tout comme mon premier recueil, l’écriture de Vieille Fille s’est échelonnée sur plusieurs années, principalement en me basant sur des histoires ou anecdotes vécues. Par exemple, dans les « Notions de bases », j’expose le choc que j’ai ressenti quand je me suis retrouvée à vivre seule après plusieurs années passées en couple; à partir toute seule en camping, à monter six sacs d’épicerie à la fois, à passer mes samedis soir en tête-à-tête avec mon chat.

Contrairement à Pensées pour jours ouvrables, l’univers de Vieille Fille se prêtait moins à une présentation chronologique des anecdotes qu’à une exposition de différentes facettes de la « vieille fille ». Mon objectif était surtout d’actualiser le visage de celle qui est encore perçue et représentée socialement comme quasi asexuée, peu ou pas intéressée par les hommes ou qui n’aime pas les enfants. Avec le chapitre « Maîtresse », on réalise bien que Vieille Fille peut séduire, à en briser des couples, ultimement se briser elle-même. C’est clairement le chapitre qui fut le plus sensible à écrire pour moi, à tenter de recréer cette valse déchirante entre romantisme enivrant et tragique solitude.

Plusieurs passages de votre recueil se lisent tels des aphorismes, si l’on pense entre autres aux « Pensées pour utérus flétri ». On vous retrouve ici encore avec votre plume acérée. Comment décririez-vous votre style d’écriture? Qu’est-ce qui vous anime le plus comme autrice?
Je m’amuse beaucoup à détourner des phrases connues, que ce soient des proverbes, des chansons ou des paroles un peu convenues qu’on s’échange banalement. En rétorquant de manière incisive, c’est comme si je refusais de prendre sur moi la violence, la tristesse que sous-tend une situation. Mes réponses à « Ça te va bien un bébé » (la préménopause me va encore mieux – et – dormir 12 heures d’affilée aussi) en sont un bon exemple.

On a déjà comparé mon écriture à de l’autodéfense. Je retourne le ridicule sur lui-même, en essayant toujours d’aller aussi loin, sinon plus. La musicalité des phrases, l’écriture en mode punch est probablement l’une de mes forces, c’est quelque chose qui me vient naturellement mais que je partage aussi avec mon entourage. Il n’est pas rare de retrouver dans mes recueils des phrases qui ont été dites par ma famille, des collègues ou des amis. Je suis d’ailleurs reconnue dans mon réseau pour être une voleuse de citations!

Ce qui m’anime le plus comme autrice, c’est comment l’écriture permet de reprendre le pouvoir sur des situations blessantes. En exposant ainsi les petites violences de la quotidienneté, j’espère qu’on réalise comment certains gestes ou paroles entendues ou même dites peuvent heurter plus qu’on ne le pense.  D’ailleurs, un des passages dont je me fais le plus souvent parler, c’est le Template « Comment domper une fille » par courriel ou texto. Une lectrice m’a écrit récemment pour me dire qu’elle avait surpris sa date à le lire alors qu’il feuilletait le recueil au lendemain d’une soirée chez elle et qu’il en semblait troublé. Qui sait, je lui ai peut-être évité de se faire balancer les mêmes niaiseries que j’ai déjà reçues!

Dans vos remerciements (les vrais), vous remerciez votre éditeur « pour la confiance générale à l’idée de publier une fois de plus [v]os niaiseries. » Votre texte a du mordant, c’est vrai. L’humour, le cynisme, la poésie mais aussi la tristesse le traversent. On peut rire et pleurer à sa lecture. Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire ce recueil? Par ailleurs, avez-vous un autre projet d’écriture sur le feu?
Comme j’expliquais, mon écriture s’étale sur plusieurs années. Autant mon premier recueil que le second rassemblent quatre ans de vécu. J’avais d’ailleurs commencé l’écriture de Vieille Fille alors que j’étais encore en couple, mais ma rupture m’a ouvert sur un tout nouveau monde, pire encore que celui du management. Le dating, c’est littéralement le Far West!

J’écris donc constamment sans savoir si un jour ou l’autre, ça débouchera sur quelque chose de concret. C’est tellement caractéristique de ma démarche que je me rappelle avoir démarré un blogue nommé « mort dans l’œuf » où j’exposais brièvement tous les projets littéraires qui me venaient en tête. Je vous laisse deviner ce qui est arrivé au blogue lui-même…

Vieille Fille © Marie-Josée Marcotte
© Marie-Josée Marcotte

Si l’on vous offrait ici l’opportunité de répondre à la question de votre choix afin d’en révéler davantage sur vous-même, sur votre métier, quelle serait-elle? Et que répondriez-vous?
Je me rappelle un article paru dans une revue où l’on demandait à des artistes quelle qualité ils admiraient le plus chez un homme, puis chez une femme. Mais en quoi une qualité peut être plus admirable selon le genre? Cette hiérarchisation différenciée m’a rendue mal à l’aise, peut-être parce que ça me renvoie à ma propre situation de célibataire où j’ai l’impression de ne pas avoir les « bonnes qualités » pour être désirable et attirante.

Mais bon, je ne réponds pas à la question ici! Alors la qualité que j’admire le plus chez UN ÊTRE HUMAIN, c’est la bienveillance. Selon moi, c’est de loin ce qui manque le plus présentement entre nous, probablement encore plus depuis la dernière année. J’ai comme l’impression qu’on a perdu le beat du vivre ensemble, comme si on était tous devenus, en quelque sorte, des vieux garçons et des vieilles filles.  Qui sait, peut-être que mon prochain recueil s’intitulera Poésie de déconfinement?

Photos : © Marie-Josée Marcotte

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