Orgueil : Brigitte Haentjens, Richard III Le monarque égoïste

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C’est au Richard III de William Shakespeare, pièce traitant de ce souverain qui a écarté ses deux neveux pour régner en seul maître et qui a commis les pires barbaries, que nous avons réservé le péché d’orgueil. « Orgueil, certes. Ivresse de soi », précise Brigitte Haentjens, la metteure en scène qui a réuni vingt acteurs qui monteront du 10 mars au 4 avril prochains sur la scène du TNM pour représenter la cour de Richard, duc de Gloucester.

« C’est Brecht qui disait : “L’Homme est un loup pour l’Homme.” Le désir de posséder est indéniablement au cœur de l’être humain. Comme celui d’asservir probablement », avance Brigitte Haentjens. Sombre tableau, mais éclairé par le verbe shakespearien qui, porté sur scène, agit comme une psyché révélatrice. « Le théâtre est un lieu de beauté et d’élévation. Un lieu de réflexion et de confrontation. Il n’est pas là pour nous conforter, nous réconforter, nous endormir. Mais plutôt pour nous aiguillonner, nous provoquer », continue Haentjens qui a fait paraître à l’automne dernier le livre Un regard qui te fracasse, un titre éloquent pour parler du pouvoir transformateur de l’art dramatique. Dans cet ouvrage, à la fois essai et parcours intime d’une femme de théâtre plurielle, l’auteure aborde l’art comme un besoin, un moyen employé pour évacuer l’urgence surgie des questions qui la tenaillent.

Richard III n’hésite pas à déployer de nombreux subterfuges – dont quelques assassinats – pour arriver à ses fins, soit trôner sur toute l’Angleterre. Dans l’art de la feinte et de l’usurpation, il est indéniablement le maître. Ce qui le pousse à tant d’orgueil et de suffisance est difficile à expliquer. Par contre, plusieurs hypothèses sont envisageables. Même si cela n’excuse pas les crimes commis par un orgueil éhonté, une souffrance pourrait être à l’origine de ses actes. « Enfant non désiré, non aimé, non regardé, Richard porte une blessure sur laquelle son intelligence construit une personnalité qui désire dominer et détruire. Cette faille le rend touchant malgré l’horreur de ses crimes », confie Haentjens.

Avec Richard III, c’est la première fois qu’Haentjens approche concrètement la tragédie shakespearienne. « Shakespeare s’inscrit dans son temps, il parle des enjeux de sa société. Ce faisant, il démontre les rouages de l’humanité, ses bassesses, ses vilénies. » Le visage de Richard III n’est certes pas rassurant, mais son reflet peut aussi nous mener à une prise de conscience. Le Richard de Shakespeare est physiquement difforme, mais le véritable duc n’avait qu’une scoliose. Le dramaturge voulait alors démontrer autre chose. « Richard est décrit comme hideux, pourtant il a un charme fou », renchérit Haentjens. « Peut-être porte-t-il en lui le mal qui nous ronge. » Il serait ainsi le symbole de ce que l’humanité comporte de blessures et de douleur. Car si l’orgueil peut conduire aux plus grands désordres, il faut également lui accorder de l’indulgence parce qu’il fait office bien souvent d’épaisse cuirasse mise sur nos sentiments et sur nos plus grandes vulnérabilités, comme chez Richard. Dans une des dernières scènes, Sa Majesté le roi retire d’ailleurs le masque et, pris de remords, revient sur le mal qu’il a commis. « Parallèlement, il y a chez Richard une haine de lui-même sur laquelle l’orgueil pose son socle. Personnage complexe s’il en est d’un point de vue psychologique », ajoute la metteure en scène.

L’art de la représentation pour Haentjens relève de la nécessité de se mettre en danger pour éviter la stagnation et l’engourdissement. Il s’agit d’un théâtre qui s’engage, qui prend la parole. Elle cite son maître à penser, le dramaturge Heiner Müller : « Si vous rencontrez le succès, méfiez-vous! » Le Richard III de Brigitte Haentjens – et puisque le théâtre existe pour sortir de l’ornière et féconder de nouveaux possibles – ne risque donc pas d’être ronflant. Soyons prêts à faire face à la démesure de l’Homme et à son orgueil outrancier.

Richard III de William Shakespeare, TNM
10 mars au 4 avril 2015
Mise en scène : Brigitte Haentjens
Traduction : Jean Marc Dalpé
Richard III : Sébastien Ricard

 

Crédit photo: Mathieu Rivard

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