Michel Pleau : Se souvenir

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Lauréat du Prix du Gouverneur général pour La lenteur du monde en 2008 et poète officiel du Parlement, Michel Pleau consacre sa vie à la poésie. Ses thèmes de prédilection, tels que la mémoire, l’enfance et la mort, se retrouvent au cœur de sa récente parution, Le ciel de la basse-ville.

Vous habitez dans Saint-Sauveur à Québec. Que représente ce quartier dont il est question dans Le ciel de la basse-ville?
Oui, j’habite et j’aime profondément ce quartier de la basse-ville. Et plus important encore, en ce qui concerne ma poésie, c’est là que je suis né. Ou pour être plus précis, c’est là que je suis venu au monde! Dans ce quartier, j’ai entendu mes premiers mots et touché mes premières lumières. Ce sont mes origines. Le ciel de mon enfance, celui de la basse-ville, est encore présent dans ma vie. C’est celui que je regarde par la fenêtre de ma chambre d’écriture. C’est un ciel lumineux. Je crois en une poésie pratiquée comme un patient travail pour reconquérir toute la clarté et la vitalité de l’enfance. Une poésie qui redonne également au regard la charge de collecter la lumière d’aujourd’hui. Je suis un poète qui se souvient. La mémoire, pour moi, est un lieu actuel et habitable.

Vous abordez souvent le thème de l’enfance, entre autres, dans Le petit livre de l’été, La lenteur du monde et maintenant dans Le ciel de la basse-ville. Qu’est-ce qui vous inspire dans l’enfance? Êtes-vous nostalgique de cette période?
Dans mes poèmes, je n’évoque pas tant mon enfance que l’enfance elle-même. Au fond, ce n’est pas uniquement l’enfance historique que le poème explore, mais une autre enfance : celle d’aujourd’hui. Henry David Thoreau avait cette réflexion : « Je crains bien que l’enfant qui cueille une fleur pour la première fois n’ait une intuition de sa beauté et de sa signification que le botaniste ensuite ne gardera pas. » Et si la poésie était une occasion, pour l’enfant toujours présent en nous, de reprendre la parole? De nous prendre la main? Car c’est bien lui maintenant qui, avec sa petite main, écrit les livres de poèmes, n’est-ce pas?

La mort plane souvent dans votre poésie. L’écriture permet-elle d’apprivoiser la mort? Les mots aident-ils à survivre à un deuil?
J’avais 12 ans lorsque mon père est décédé. J’avais pris l’habitude d’écrire des « poèmes » à mon père malade. C’est ainsi que j’appelais mes petits bouts de papier. En réalité cela ressemblait à des lettres où je lui racontais ma journée. Un peu comme un journal. Il s’était muré dans sa chambre, d’où il ne sortait plus, retiré en lui-même, durant toute une année d’agonie. Il ne m’était accessible que par l’écriture. N’ayant plus le droit d’aller voir mon père, je glissais sous sa porte mes petits écrits. Après sa mort, j’ai continué à lui écrire. Je crois que j’espérais du poème une réponse. Cette tentative a bien sûr été un échec et ma poésie, à un certain moment, a bien failli s’éteindre. J’ai retrouvé, des années plus tard, un petit carnet où mon père avait pris quelques notes. J’ouvris le carnet. Des mots s’illuminèrent. Mon père ne me laissait plus seul. Il me parlait et ses mots créaient une présence. J’avais oublié le son de sa voix, mais chacune des phrases de ce carnet me faisait entendre une étrange voix venue du passé. De là, peut-être, mon sentiment que le poème est parfois un souvenir de la parole.

Dans Le ciel de la basse-ville, le monde est « un rivage difficile à atteindre ». Selon vous, l’écriture sert-elle à appréhender le monde, à le saisir justement?
J’ai déjà écrit dans un poème : « Je connais trop peu le monde et ses fondations. » C’est peut-être ce qui résume le mieux mon cheminement en poésie. Plus j’avance en âge, plus je réalise l’immensité de mon ignorance. Il me semble qu’à 20 ans, alors que j’étudiais en littérature à l’université, je savais comment écrire un poème. Je pouvais en parler, faire de belles phrases, parfois des phrases savantes. À 50 ans, le mystère autour du poème s’agrandit chaque jour. Je suis maintenant plein de doutes, je sens toutes les nuances que je devrais apporter à mes réflexions. Au fond, je souhaiterais laisser uniquement la parole au poème. Il dit bien mieux que moi ce que je crois percevoir du monde et de sa réalité.

En quoi consiste le mandat du poète du Parlement du Canada?
Le titre que l’on donne à ce mandat de deux ans est un peu trompeur et donne lieu à toutes sortes d’interprétations loufoques. On peut facilement s’imaginer Assurancetourix, le barde gaulois, qui chante les exploits guerriers des valeureux Astérix et Obélix. Une sorte de fou du roi. Dans la réalité, il s’agit d’un mandat extraordinaire qui me permet de travailler avec le Service des programmes éducatifs de la Bibliothèque du Parlement. Les textes officiels expliquent bien le mandat en disant que les législateurs, en créant ce poste, « ont voulu encourager la littérature, la culture et la langue et en promouvoir l’importance » et attirer « l’attention du public sur le rôle que joue la poésie, écrite ou orale, dans la vie des Canadiens, ainsi que sur sa nature et son caractère essentiel. » C’est une définition de tâches qui me plaît. Je compte profiter de ce mandat pour approfondir ma connaissance des minorités francophones dans les autres provinces canadiennes.

Comment en êtes-vous venu à écrire de la poésie?
En 1984, je m’inscrivais au programme de création littéraire à l’Université Laval. Je voulais qu’on me donne des « trucs » pour écrire des romans et ainsi devenir riche et célèbre! J’ai eu la chance d’avoir comme professeur le poète Jean-Noël Pontbriand. Un très grand poète. Cette rencontre a changé ma vie et je lui dois beaucoup. J’ai réalisé, grâce à lui, que la poésie était une recherche exigeante et sans fin et que je devais le plus humblement possible, mais de façon impérieuse, y consacrer ma vie.

Vous avez remporté le Prix du Gouverneur général pour La lenteur du monde en 2008. Quel effet vous procure cette reconnaissance?
Le Prix du Gouverneur général et la lumière provisoire que cela a jetée sur mon travail ont renforcé en moi l’immense besoin de solitude et de retrait. Je suis un poète solitaire. Être seul, c’est ma façon d’être avec les autres. La poésie est beaucoup plus grande que nous.

Que représente l’écriture pour vous? Qu’est-ce qui vous anime dans la poésie?
Ma pratique de l’écriture a conduit ma parole vers un désir d’incarnation et une poésie que je souhaite vivante. J’ai pris le parti de la lisibilité et le pari de l’inactuel. Je crois en la permanence d’une poésie que l’on appelle lyrique et qui tente d’établir un dialogue avec l’autre. Il ne s’agit pas d’une volonté délibérée d’être simple, mais d’une nécessité, inhérente à l’écriture même, de faire du poème une parole partagée. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la simplicité n’est nullement absence de profondeur. Les poèmes viennent des terres intérieures. Et c’est au cours d’un itinéraire autant spirituel qu’esthétique que j’ai cherché, et cherche encore, à créer des liens avec le monde.

Photo : © Guillaume D. Cyr

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