On a connu Mathieu Dubé sur Instagram. Il y publiait des poèmes en collage, glanant ici et là des mots pigés dans différents journaux et magazines. Chaque fois, on s’émouvait devant la profondeur de ses petits bijoux inventifs. Alors quel bonheur de découvrir sous la forme d’un livre une sélection de ses meilleures créations! De plus, cet ouvrage intitulé Morceaux de mémoire est présenté dans un très grand format. Y plonger, c’est découvrir une poésie qui détonne, qui fait rire, mais aussi réfléchir. Ce sont des mots qui parlent d’amour, d’humour, d’angoisse, de sexe, de la vie. Mathieu Dubé lève le voile sur ce qui se cache derrière ses papiers collés littéraires.

Les images créées dans vos poèmes sont nombreuses : « L’ange aux doigts de féline », « La tigresse qui roucoule », « On fait de la pleine lune une crêpe », « Je promène ma peine au bout de la laisse mais n’allez pas croire que j’en suis maître », etc. Pour vous, de quelle puissance est porteuse la littérature?
C’est vrai que j’écris d’abord pour les yeux. Ça m’a toujours fasciné qu’une poignée de mots suffisent à planter un décor, à faire s’emballer l’imaginaire, et qu’un livre puisse donner à voir le monde par le prisme d’une autre sensibilité que la mienne. Je pense que la littérature est une fabuleuse porte vers l’empathie; pour moi, c’est l’une de ses nombreuses puissances.

Comment procédez-vous, concrètement, pour créer un poème? Avez-vous une idée de phrase en tête dont vous cherchez ensuite les mots dans les imprimés, ou vous vous laissez plutôt influencer par le lot de mots découpés que vous avez sous la main?
Les deux. Je tapisse mes tables de découpures, je feuillette des imprimés, exacto à la main, découpe et réagis à ce que je viens de lire en griffonnant dans un calepin des amorces sur lesquelles je reviendrai plus tard, et pour lesquelles je devrai chercher des mots. La constante : je pars presque toujours des mots qui s’étalent devant moi plutôt que d’une idée ou d’un message à transmettre. J’aime voir les mots.

Quels sont vos imprimés de prédilection pour y découper vos morceaux choisis? Certains sont-ils inlassablement une mine de mots de choix?
J’en ai des montagnes, on s’y perd! Quelques exemples : L’actualité, Châtelaine, Elle Québec, Québec Science, Science & Vie Junior, L’obs. J’affectionne particulièrement Paris Match pour les typos et le noir et blanc. Les imprimés destinés aux jeunes sont un champ inépuisable à l’heure de la moisson de couleurs. Quant aux mots de choix, je dirais qu’il s’en trouve partout, pour peu qu’on soit à l’affût… Et, oui, mon scalpel a allègrement charcuté les pages de la revue Les libraires!

Vos poèmes ont d’abord été partagés sur Instagram. Quelle est la petite histoire d’édition derrière votre ouvrage?
Il y a quelques années, j’ai commencé à présenter des reproductions de mes poèmes-collages lors de symposiums d’art, dans le but de trouver une galerie intéressée par ma démarche. Parallèlement, je publiais des textes en vers sur Instagram. Ils ont attiré l’attention de Lise Demers, des éditions Sémaphore. Lise a fait preuve de patience à mon égard : elle m’a gentiment tordu le bras pour que je me décide enfin à mettre de l’ordre dans mon fouillis et que je planche sur un recueil. Et aujourd’hui, je dois dire que je suis vraiment, vraiment très fier du résultat.

L’aspect visuel de vos collages participe au poème : des mots reliés ensemble mais pas sur une même ligne, des calligrammes pour certains textes, des jeux de couleurs pour d’autres. Le poème influence-t-il la forme ou est-ce plutôt l’inverse? Est-ce par hasard ou est-ce prémédité?
Mon aventure, c’est un tango entre le poème et sa forme, qui s’influencent l’un l’autre, mais c’est surtout un jeu de hasard, de lenteur, de patience. Un peu comme un casse-tête dans lequel je me lancerais sans connaître l’image attendue. Cette image se dessine au fil du temps et des essais et erreurs, jusqu’à ce qu’une forme s’impose et que, instinctivement, je la reconnaisse. Gosser est un art de vivre! Depuis un bout, par contre, je me dis qu’il serait enthousiasmant de relever le défi de formes préétablies. À suivre…

Quelles sont vos influences littéraires?
Ouf! Elles sont innombrables et ne transparaissent pas nécessairement dans mon travail, même si je me suis amusé à semer plusieurs pistes de réponse dans Morceaux de mémoire… Quand j’ai commencé à découper compulsivement des mots et des bribes de phrases, j’étudiais en arts et lettres au cégep de Valleyfield, à la fin des années 1990. J’avais été frappé par les collages et les jeux typographiques des dadaïstes et des surréalistes. Mais la plus violente charge au plexus m’avait sans doute été portée par les calligrammes d’Apollinaire — ou était-ce le Coup de dé de Mallarmé? En tout cas, je me suis relevé obsédé pour de bon par la forme… Lise voit pour sa part dans mon approche une parenté avec les constructivistes russes, et je dois admettre qu’ils ont peut-être eu leur mot à dire dans mon inconscient!

Photo : © Huu Bac Quach

Publicité