Julie Bruck : Les singeries de l’être humain

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« Quand il l’aura quittée, ses jours à elle referont
ces soirées avant les fêtes. Des riens
la dérangeront, des lieux l’accableront. Mais, ce soir,
elle est son problème à lui, il a taché sa neige à elle.
Et il fait assez clair pour trouver son chemin. »

 

C’est sous l’habile traduction du romancier William S. Messier qu’on nous sert l’inspirant et original recueil Monkey Ranch, récipiendaire du prestigieux Prix du Gouverneur général en 2012, signé Julie Bruck. Des honneurs fort mérités pour cette poète de San Francisco, originaire de Montréal, qui signe une poésie sensible et touchante, empreinte d’humanité.

« L’expérience de novembre dernier [la remise du Prix du GG] m’a fait sentir comme si je chutais dans le terrier magique du lapin d’Alice aux pays des merveilles », explique humblement l’auteure de La singerie, son premier recueil traduit mais son troisième écrit à ce jour. « Je ne suis toujours pas certaine de comment cela a pu se produire – parfois, je pense que c’était une hallucination – mais ce fut si agréable de recevoir une telle reconnaissance au Canada, surtout que je serai à jamais liée émotionnellement à Montréal et que je considérerai toujours cette ville comme ma maison. »

Julie Bruck pose un regard optimiste et lumineux sur le monde, sans jugement, malgré les travers de l’être humain, les absurdités et les affres de la vie. Sa plume, parfois compatissante, parfois ironique, tantôt nostalgique, toujours sage et lucide, expose la vie dans toute sa splendeur et dans toutes ses imperfections, du destin tragique aux joies insoupçonnées. Des moments pris ici et là, comme des instantanés, dessinent un kaléidoscope de détails qui forment une vie.

La singerie est peuplé, entre autres, d’un mandrill, de dents de lait, d’un singe, d’une cuillère, d’un quartier de Bagdad, d’un Roméo, d’un jockey, d’une exécution, et surtout, de familles : « Les relations familiales sont souvent les plus intenses rapports que nous connaissons. Elles puisent dans notre humanité, que cela nous plaise ou non. La famille procure toutes sortes d’émotions primitives, ou peut-être “primates”. » Les complexités de la vie familiale interpellent Julie Bruck, tout comme le quotidien : « Autant comme écrivaine que lectrice, je suis constamment à la recherche de liens entre des éléments apparemment distincts, espérant que l’étincelle entre ces deux choses puisse en illuminer une troisième qui permettrait d’interroger le quotidien. Lorsqu’un poème atteint cette zone sensible – pour l’auteur ou le lecteur –, cela brise notre isolement et nous fait sentir moins seul. »

Écrire et lire pour repousser la solitude. Peut-être, aussi, pour appréhender le monde et le définir? « La poésie qui m’intéresse le plus donne vie à ce qui ne peut pas vraiment être dit en mots. J’ai donc tendance à me méfier de l’écriture qui cherche à définir le monde de façon trop ordonnée. En même temps, nous sommes des créatures ayant envie de plans ou de modèles de notre expérience, aussi aléatoire le monde soit-il dans sa distribution de joie ou de chagrin. Cette soif de modèles est certainement ce qui m’amène à écrire », dévoile Julie Bruck.

Souhaitons que cette soif la poursuive encore longtemps. Pour lire encore et encore sa poésie. Pour observer le monde sans détourner le regard, pour étudier l’être humain, pour en explorer ses singeries. Pour être moins seul dans ce zoo qu’est la vie.

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