David Suzuki: L’éternel combattant

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Le moins qu'on puisse dire, c'est que David Suzuki ne manquait pas de choses à raconter, en préparant Ma vie, son autobiographie publiée ce printemps chez Boréal. Généticien de formation et vulgarisateur scientifique bien connu pour ses émissions de télé et de radio à la CBC, militant écologiste de longue date, professeur émérite de l'Université de la Colombie-Britannique, président de la fondation qui porte son nom, auteur d'une trentaine de livres et d'une chronique hebdomadaire sur le site de sa fondation (davidsuzuki.org), récipiendaire de dix-huit doctorats honorifiques et de huit titres honorifiques conférés par les nations autochtones, Suzuki est depuis toujours un véritable boulimique des causes environnementales, sociales et politiques. Et aussi un fier mari et papa et un grand amateur de pêche, comme plusieurs passages du livre le montrent.

Les sources de cette hyperactivité proviennent, comme il l’écrit dans Ma vie, d’une expérience plutôt traumatisante vécue alors qu’il avait six ans: Canadien d’origine japonaise, il se voit expulsé de chez lui et envoyé dans un camp dans les Rocheuses en 1942, alors qu’une peur panique et xénophobe s’empare du pays au lendemain de Pearl Harbor.

«Ça a donné deux choses, explique-t-il aujourd’hui. Être captif dans les Rocheuses, sans école et au milieu des montagnes m’a permis de m’attacher profondément à la nature. De l’autre côté, ça a suscité un sentiment d’aliénation double. D’abord, face au pays qui nous traitait ainsi ― pendant longtemps, je suis resté nerveux et réservé face aux Blancs ― mais aussi face aux autres Japonais, qui se moquaient de moi parce que je ne parlais pas japonais et que je ne comprenais pas la moitié de ce qu’ils disaient.»

Petite parenthèse sur cette ambiguïté: l’internement subi pendant la Deuxième Guerre mondiale devait conduire David Suzuki à devenir l’un des rares au Canada anglais qui se sont opposés à l’instauration de la Loi des mesures de guerre à la suite de la crise d’Octobre. Quelques années plus tard, alors qu’il apprenait le français à Chicoutimi, il fut toutefois un brin choqué de voir que ses professeurs nationalistes ne voyaient pas pour autant le parallèle avec le sort subi par les Canadiens d’origine japonaise…

Pas étonnant que Suzuki ait l’impression d’être un éternel outsider. Au point qu’il a d’abord songé à intituler son livre L’Outsider, jusqu’à ce que sa fille lui fasse remarquer que tout le monde se sent comme ça un jour où l’autre, et que le déluge d’honneurs et de compliments que le Canada lui a décernés au fil des ans contredisait quelque peu cette idée.

Qu’à cela ne tienne: le sentiment a eu des effets profonds sur toute l’existence de Suzuki. Son choix de la génétique, souligne-t-il, est venu en réaction au fait que sa différence raciale ait pu justifier son internement. Et de façon plus profonde, précise-t-il encore: «Ça a créé chez moi une sorte de maladie. Je me suis toujours senti obligé de montrer aux Canadiens que j’étais à la hauteur. Si je reçois un appel de quelqu’un, mon sentiment immédiat est qu’il faut que je fasse quelque chose.» Une qualité et un défaut, à son propre avis, car l’énergie déployée dans toutes ces causes se voit aussi dispersée.

L’échec écolo

Une grande partie des énergies de David Suzuki s’est quand même concentrée sur les causes environnementales. Un mouvement dont il a pu constater les immenses progrès, des années 60 au début des années 90, mais dont il constate l’affaiblissement depuis. Peut-on même parler d’échec? «Et comment!», acquiesce-t-il sans l’ombre d’une hésitation.

L’animateur de The Nature of Things rappelle qu’en 1962, quand la biologiste américaine Rachel Carson a publié Silent Spring, considéré par plusieurs comme le livre fondateur du mouvement écologiste, «il n’y avait pas un seul ministre de l’Environnement dans le monde. De là, le mouvement a grandi de façon spectaculaire, au point que George Bush père, en 1988, avait même déclaré qu’il serait un président environnementaliste.» Une affirmation que Suzuki assimile, a posteriori, à une mauvaise blague, mais qui démontrait aussi la pression réelle ressentie alors par les politiciens.

Mais depuis Rio, les gains ne se matérialisent pas, bien au contraire, tandis que le protocole de Kyoto est passablement affaibli, encore plus avec les récentes décisions du gouvernement Harper. Pourquoi? Pour Suzuki, il faut regarder la difficulté remarquable que nous avons, collectivement, à voir les choses de façon globale et à long terme.

Par exemple, il rappelle que 12% des adolescents canadiens souffrent d’asthme: «J’ai fait une émission sur l’asthme. J’ai choisi une journée de smog, à Toronto, et on est allés voir les urgences. Il y avait des paquets de jeunes en crise d’asthme, et la plupart étaient reconduits par leurs parents en VUS! Les gens ne font pas le lien avec leurs propres décisions. Pourtant, pas besoin d’être un génie pour voir le rapport avec toute la merde qu’il y a dans l’air, dans l’eau et dans le sol!»

De même, ajoute-t-il, les médias rendent compte des grandes tempêtes, des feux en Indonésie, des sécheresses, mais font rarement le lien entre ces phénomènes pour expliquer les changements climatiques. Et le monde politique fonctionne à court terme, alors que l’action environnementale demanderait de mettre en place des mesures dont on récoltera les fruits dans quinze, vingt ou trente ans. «On ne voit pas les choses en contexte», résume-t-il.

Face à ces problèmes considérables, face à la complaisance relative des citoyens, Suzuki l’infatigable refuse de baisser les bras et sonne encore le rappel des troupes: «Il faut réclamer que les politiciens agissent. Il y aura des élections fédérales d’ici deux ans. Il faut qu’on demande que les questions environnementales fassent partie du débat. Il faut en faire plus.»

N’hésitant pas à recourir à des images colorées, il fait même de la lutte aux changements climatiques une question identitaire pour le Canada: «Wayne Gretzky a appris à jouer au hockey sur une patinoire que son père lui préparait dans la cour familiale. Avec le réchauffement, il ne pourrait plus. Au Nord, les ours polaires sont menacés de disparaître. Dites-moi, que serait le Canada sans hockey et sans ours polaires?»

Plus sérieusement, il ajoute que les principes écologiques sont tout ce qu’il y a de plus simple et de plus évident: «Il n’y a rien de compliqué là-dedans. Nous sommes des animaux. Pour vivre, nous avons besoin que l’air, l’eau et la terre soient propres.» Alors, au travail…

Photo: © Chik Rice

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Bibliographie :
Ma vie, David Suzuki, Boréal, 512 p., 29,95$
L’Arbre, une vie, David Suzuki et Wayne Grady, Boréal, 268 p., 25,95$

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