Maxime Chattam: Le noir, le moderne et le fantastique

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Quand Maxime Chattam a commencé à écrire ses thrillers et livres fantastiques, aujourd'hui vendus à des centaines de milliers d'exemplaires, c'était pour trouver dans le monde littéraire l'aventure qui n'existait pas dans sa vie de tous les jours. C'est probablement ce qui explique le contraste entre le côté affable et sympathique de l'auteur et la violence considérable de ses romans, comme dans Le requiem des abysses, son plus récent, où se succèdent meurtres rituels et autres événements aux allures surnaturelles.

Deuxième partie d’un diptyque commencé l’année dernière avec Léviatemps, Le requiem des abysses met en scène un écrivain enquêteur, Guy de Timée, confronté depuis le début de la série à un esprit meurtrier grandiloquent qui hante Paris – et qui va même le poursuivre jusque dans la campagne française où il s’est réfugié pour se remettre des horreurs vécues dans Léviatemps. Se mêlent alors, au fil du roman, une atmosphère où la modernité technique d’il y a cent ans s’amalgame à la superstition et à l’horreur. Le ton du roman a d’ailleurs de quoi rappeler le Chien des Baskerville de Conan Doyle, le ton des histoires d’Edgar Allan Poe ou encore d’autres romans noirs ou gothiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

Le côté noir de l’homme
Celui qui est également auteur d’une ambitieuse série fantastique, «Autre-Monde», déclare se consacrer au roman noir, pour tenter de saisir, par la violence, le côté sombre de l’homme: «En écrivant sur cette violence, mon objectif est de mieux comprendre l’homme. Ce projet ambitieux est structuré par la forme romanesque, explique-t-il. Le suspense est un moteur ludique. Il impose à chaque livre une forme, un défi d’écriture. Quatre-vingts chapitres, tous bien structurés, pour que le lecteur se sente emporté dans le récit – et moi aussi, au moment de l’écriture.» Mieux encore, le suspense permet de rendre plus supportable l’horreur qu’il met en scène dans le livre: «C’est un mécanisme qui m’aide à plonger, à explorer la violence. Le fond et la forme sont très différents, mais tout aussi passionnants. L’un ne va pas sans l’autre. La forme divertissante m’autorise à aller plus loin. Il y a des moments d’une noirceur abyssale, que je ne pourrais pas faire dans une forme plus lourde. Ça me permet d’aller jusqu’au bout.»

Cette exploration des pulsions mortelles de l’humain trouve un miroir dans le lieu de vie qu’adopte Guy de Timée à Paris: un lupanar. Un lieu que Chattam reconnaît comme étant un brin cliché, dans un roman portant sur le Paris de l’époque. L’auteur précise cependant qu’il s’est beaucoup documenté pour ces romans: «J’ai accumulé près de 7 000 pages – et le lupanar était une plaque tournante de la vie de l’époque. Il y en avait pour toutes les bourses, pour toutes les classes sociales. C’était très courant.»

Au demeurant, ce domicile prend une autre signification dans le contexte des horreurs vécues par le héros du livre: «Guy est un être rationnel, mais il est à la recherche de l’amour.» Il cherche donc l’éros, par opposition au thanatos des actes meurtriers qui parsèment la série. Un éros «tronqué», toutefois, au travers d’un parcours plutôt dramatique.

Modernité et superstitions
Autre moteur du livre, les parallèles entre l’ère contemporaine et le Paris de 1900, l’époque d’une Exposition universelle mettant en valeur les triomphes techniques de l’humanité, mais aussi celle d’un attachement aux superstitions et au mysticisme: «La société de l’époque met son avenir dans la science, mais elle demeure chargée de mythes. C’est une société qui a du mal à s’ajuster à tout ça. On croit que tout devrait être expliqué par la science, mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui encore, l’humanité compte beaucoup sur la science, tout en restant aux prises avec des superstitions, des sectes et des envies de paranormal». Une scène du roman évoque une séance de spiritisme: n’en a-t-on pas vu à la télévision québécoise, récemment?

Sur un plan plus terre-à-terre, Chattam fait allusion à des tendances sociales qui semblent très actuelles, montrant que les choix de l’humanité, au cours des cent dernières années, se ressemblent peut-être plus qu’on croit: «C’était aussi une époque d’hypercom-munication. Les journaux étaient très diversifiés et riches – sans l’uniformité d’aujourd’hui – ils paraissaient plusieurs fois par jour. Il n’y avait pas de courriels, mais il y avait plusieurs levées de courrier quotidiennement, à Paris.» Bref, sans Internet, l’envie de tout savoir tout de suite existait déjà. «L’homme revit peut-être ce qu’il a déjà vécu. Il y a une continuité avec les choix que l’humanité a faits autour de 1900. J’écris pour qu’on se rende compte de ce qu’on vit aujourd’hui, pour éclairer le présent», ajoute l’auteur.

Musique et concentration
Dans un tout autre ordre d’idées, les lecteurs noteront avec intérêt que Chattam inscrit, au début de ses livres, la liste des musiques qu’il a écoutées pendant le processus très intensif d’écriture. «Quand je me mets à l’écriture, c’est pratiquement sept jours sur sept. Chaque heure qui n’est pas consacrée à l’écriture, la tapisserie se délie et il y a des choses qui se perdent. Léviatemps et Le requiem des abysses ont dû me prendre environ 3 000 heures, donc plusieurs mois d’écriture consécutive.» Pour soutenir l’effort et unifier l’atmosphère du livre qui prend forme, il écoute donc, pratiquement en continu, un certain nombre de disques: une vingtaine au départ et quelques-uns seulement vers la fin, alors que le projet se définit plus clairement. «Ça renforce cette bulle d’écriture. Quand c’est bien choisi, ça me coupe du monde et il y a un cocon qui se tisse entre la musique et l’écriture, les thèmes et le ton.» On ne s’étonnera donc pas de retrouver, parmi les atmosphères choisies, les trames sonores de The Wolfman, de Danny Elfman, ou de The Village, de James Newton Howard, des musiques de film qui offrent une bonne dose d’effroi.

Les mystères de Québec
Y aura-t-il un peu de rigodon québécois dans la trame sonore des prochains romans? Lors de l’entrevue, Maxime Chattam a insisté pour parler de la province et de la ville de Québec – et pas juste pour l’habituel hommage aux sympathiques cousins québécois que servent si souvent les écrivains ou autres personnalités françaises en visite. Il y a sept ans, ayant envie d’un changement de cadre, Chattam avait fait une demande d’immigration, songeant à s’installer à Montréal, quelque part entre Outremont et le Plateau Mont-Royal. Les longs délais administratifs ont toutefois fini par mettre fin au projet et sa vie en France a fini entre-temps par se réorganiser.

N’empêche, le Québec est resté bien au cœur de ses préoccupations, au point de se retrouver dans deux de ses livres à paraître. Dans le quatrième tome de sa série fantastique «Autre-Monde», qu’il vient de terminer et qui sera publié à l’automne, les héros de l’aventure doivent se rendre au nord et, explique l’auteur, «ça les amène à Québec, où le monde a aussi changé.» La capitale québécoise en prend d’ailleurs pour son rhume, prévient l’auteur: «Quand vous verrez ce qui arrive à la ville, je ne suis pas sûr que vous allez apprécier», lance-t-il avec un grand rire.

Ce n’est pas tout, d’ailleurs. Chattam reviendra au Québec en septembre, à la recherche d’un village relié au reste du monde par une seule route, pour alimenter son prochain thriller. Le genre de décor qui permet d’isoler des personnages pour leur faire subir un triste sort, «pour votre plus grand plaisir et votre plus grande terreur», conclut l’auteur. Entre l’Abitibi et la Côte-Nord, où plantera-t-il son décor? Le suspens durera encore un moment…

Bibliographie :
Le requiem des abysses, Albin Michel, 454 p. | 29,95$

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