Joël Champetier: La passion de l’imaginaire

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Depuis quelques années, la littérature de l'imaginaire connaît un engouement sans précédent au Québec. Afin de tracer un portrait de la situation de ce genre littéraire dans la province, le libraire a interviewé Joël Champetier, auteur et expert bien connu du milieu. En plus d'être l'auteur d'une quinzaine de romans, dont La Peau blanche (porté au grand écran en 2004), Champetier dirige depuis plus de dix ans Solaris, une revue spécialisée en littérature fantastique et science-fiction, fondée en 1974.

le libraire — Le fait que vous dirigiez Solaris vous place-t-il dans une position privilégiée pour connaître ce qui s’écrit au Québec en littératures de l’imaginaire?
Joël Champetier: Forcément, oui. C’est la seule revue qui publie de façon professionnelle au Québec de la science-fiction, du fantastique, de l’horreur et de la fantasy, tous les genres associés à la littérature de l’imaginaire. En fait, on édite des œuvres qui se distinguent de la littérature mimétique ou de la littérature dite «normale», dont l’action se situe dans notre monde. Pour une revue littéraire québécoise, Solaris a beaucoup d’abonnés; elle en a même de nombreux en France.

Quel rôle joue Solaris pour la littérature de l’imaginaire au Québec?
Son rôle est central, tout comme celui des autres périodiques dans le domaine littéraire. Le périodique permet de regrouper des artistes qui ont des affinités les uns avec les autres, ainsi que de publier des textes éclectiques. Dans ce sens, une revue comme Solaris a une grande influence sur toute la littérature de l’imaginaire au Québec. On y retrouve une direction littéraire assez exigeante. De plus, on tente d’équilibrer la ligne éditoriale du magazine en faisant une place aux jeunes auteurs, tout en publiant des écrivains reconnus.

Quelles sont les œuvres fondatrices de cette littérature?
C’est difficile à identifier, car le genre est très diversifié. C’est plus facile ces jours-ci de distinguer des œuvres fondatrices en fantasy. «Le Seigneur des anneaux» est véritablement une œuvre charnière qui a inspiré beaucoup d’auteurs. En science-fiction, par contre, il y a de grands auteurs classiques comme Isaac Asimov et Arthur C. Clarke — qui a écrit 2001: L’Odyssée de l’espace —, qui continuent d’influencer les écrits.

Quel genre est en ce moment le plus populaire?
Présentement, et c’est assez récent, la fantasy a le vent dans les voiles. Par contre, on sent que l’intérêt pour l’horreur a diminué. Il y a quelques années, on trouvait en librairie des rayons entiers de livres de ce genre. L’offre a diminué au profit de la fantasy. La science-fiction a aussi un peu souffert du déplacement des intérêts des lecteurs. Mais ce sont des éléments qui fluctuent continuellement.

Avez-vous l’impression que cette popularité de la fantasy est un phénomène provoqué par les versions filmiques du «Seigneur des anneaux» et par le succès des «Harry Potter»?
Il y aurait une combinaison de facteurs à vérifier. C’est certain que l’arrivée de ces deux succès populaires ont provoqué un véritable engouement auprès de nouveaux fans. Ensuite, plusieurs observent que dans les temps de grandes tensions, ou quand le monde nous semble dangereux — ce qui est vraiment le cas depuis le choc des attentats du 11 septembre —, les lecteurs ont tendance à aller se réfugier dans l’imaginaire… à vouloir se sortir un peu du monde. C’est un des facteurs qui expliqueraient le phénomène. Ça demeure à démontrer, mais la théorie semble tenir debout.

Quel bilan de santé feriez-vous des littératures de l’imaginaire au Québec?
D’une certaine façon, le milieu n’a jamais été autant en santé qu’en ce moment. Avant, le marché était l’apanage d’éditions françaises qui publiaient des œuvres traduites de l’américain. On était donc doublement colonisés! Maintenant, les succès québécois, comme celui des éditions Alire, font que de plus en plus d’auteurs et d’éditeurs d’ici s’approprient ce marché. Du côté de l’édition, ça va donc mieux que jamais. Combien de temps ça va durer? On verra. Du côté des lecteurs, il y a beaucoup de travail à faire en science-fiction. En fantasy, on se débrouille quand même pas mal. En fantastique aussi. Beaucoup de gens considèrent encore qu’un bon thriller, un bon fantastique, c’est américain. Mais on sent que cette idée tend à disparaître avec, par exemple, «Amos Daragon» ou «Les Chevaliers d’émeraude».

Si on compare la situation à ce qui se passait il y a une vingtaine d’années…
Il y a une vingtaine d’années, la publication d’œuvres de littérature de l’imaginaire était diluée dans la production québécoise générale. Souvent, les livres n’étaient pas spécifiquement identifiés. On pourrait d’ailleurs se lancer dans un vaste débat qui n’en finira jamais pour savoir s’il faut ou non étiqueter un livre de science-fiction. Et à l’époque, ils ne l’étaient pas et on ne peut pas dire que les résultats étaient probants.

Si on pense à «Amos Daragon», qui est traduit en de nombreuses langues, il semble que l’on exporte maintenant assez bien nos oeuvres.
Il faut se méfier de ces proclamations. Je ne doute pas que les œuvres soient traduites. Mais est-ce que les traductions ont été payées par l’éditeur? Est-ce que les livres ont été vendus à l’étranger? Ce sont des facteurs à considérer. Une traduction pour laquelle l’auteur ne reçoit à peu près rien, il n’y a rien d’honorable là-dedans. Ceci dit, «Amos Daragon» est l’exemple d’une série qui a quand même un certain impact international. Les éditions Alire, quant à elles, ont d’assez bonnes ventes en France. Certains romans québécois ont été traduits en anglais et distribués aux États-Unis. Il y a d’ailleurs maintenant une diffusion internationale des œuvres québécoises. On n’aurait jamais envisagé une telle situation il y a 20 ou 25 ans.

Avez-vous l’impression que la course à la publication modifie le marché?
Il y a un phénomène extralittéraire qui biaise la situation. En effet, le système fait que les éditeurs sont subventionnés à la parution. Il y a donc certaines maisons qui sont des gestionnaires de subventions — le terme n’est pas de moi —, si bien que ça colore, ça pervertit un peu la situation. Oui, il se publie trop de livres, mais qui va décider ce qu’on arrête de publier?

Pourquoi la science-fiction connaît-elle une période difficile?
Son cas est problématique: on vit dans le monde qu’elle nous annonçait il y a cinquante ans. Avec l’accélération des progrès de la technologie, il est devenu difficile d’écrire de la science-fiction: on est facilement rattrapé par la réalité, et écrire des romans qui se déroulent dans un futur proche représente une véritable gageure. De la même façon, l’évolution rapide de l’informatique, par exemple, rend toute projection à long terme plutôt hasardeuse. Il y a cinquante ans, on n’avait pas pensé à l’impact de l’intelligence artificielle (AI). Le jour où l’on va réellement inventer l’AI, que va-t-il arriver? À partir de ce point-là, personne ne peut prévoir ce qui va se dérouler après.

Cela freine-t-il l’imaginaire des auteurs?
On peut difficilement prétendre qu’on va visiter d’autres étoiles, sauf en utilisant la magie. Les vaisseaux qui voyagent dans l’hyper-espace, c’est de l’ordre de l’irréel… Or, on n’a aucune idée de ce qu’est l’hyper-espace. Par ailleurs, les découvertes scientifiques actuelles nous donnent l’impression que les limites ont été atteintes. Sinon, on peut inventer un monde complètement imaginaire. Mais là, ça devient presque de la fantasy. Les deux genres finissent par se recouper!

Joël Champetier vient tout juste de terminer la rédaction de son plus récent roman, Le Voleur des steppes, qui paraîtra bientôt chez Alire.

Bibliographie :
Les Sources de la magie, ALIRE, 436 p., 15,95$

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