Yves Beauchemin: Un fin renard

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On connaît d'Yves Beauchemin ses grands romans réalistes. Du fulgurant succès de son deuxième livre, Le matou, en passant par Juliette Pomerleau ou la trilogie-fleuve «Charles Le Téméraire», l'écrivain a habitué ses lecteurs à des fresques de la vie montréalaise. Il revient cette saison sur un autre ton avec Renard Bleu, un drôle de bestiaire qui mêle animaux et hommes, réel et fantaisie, pour les lecteurs de 9 à 99 ans.

Les aventures de Renard Bleu devaient être une série de livres pour les jeunes. Le petit format aurait permis à Beauchemin de se remettre de l’essoufflement de l’écriture des quelque mille cinq cents pages de «Charles Le Téméraire»: «Mon éditeur, Antoine Del Busso, m’a dit:  » Tu ne trouves pas, Yves, que le format des petits romans jeunesse est un peu usé? Me semble que t’es fait pour le grand format. Me semble que t’as besoin d’espace.  » J’ai répondu:  » Antoine, tu ne me demandes quand même pas d’écrire un roman jeunesse de quatre cents pages?  » [Et] il m’a dit:  » Pourquoi pas? « » L’éditeur invite donc Beauchemin à oublier les formules et à suivre son intuition. Séduit par l’idée, l’écrivain lit et relit les grands classiques de la littérature pour enfants. L’île au trésor de Robert Louis Stevenson, Le merveilleux voyage de Nils Holgersson à travers la Suède de Selma Lagerlöf, Les frères Cœur-de-lion d’Astrid Lindgren et, bien entendu, Alice aux pays des merveilles de Lewis Caroll, «dont la lecture ravit autant les enfants que les adultes.»

«Les personnages viennent des histoires que je contais à mes garçons quand ils étaient petits. J’avais oublié les aventures, j’ai dû demander à [mon fils] celles dont il se rappelait. Voilà des années qu’il me harcèle pour que j’écrive les aventures de Renard Bleu. Déjà, c’est un signe. Ça l’habite encore, maintenant qu’il est adulte», raconte-t-il. Il ressort donc des oubliettes ce Renard Bleu, ainsi que ses comparses Gustave l’Ours, le Canard Athlète et Bruno le Squelette, pour ne nommer que ceux-là. Pour sauver sa famille de la malédiction de la sorcière Eulalie Laloux, Renard Bleu doit trouver cinq gouttes du sang d’un enfant qui aurait dormi quatre-vingt-dix ans. Cet étrange remède est le seul qui pourra contrer le mauvais sort. Renard Bleu lutte contre le temps, pendant que son père, sa mère et sa sœur s’étiolent dans un coma maléfique. Avec son improbable farandole d’amis et d’animaux parlants, il cherche la réponse de l’énigme au mitan de la forêt abitibienne comme au Parlement et au fin fond des froides mers. Beauchemin ne peut s’empêcher de décocher au passage quelques pointes bien senties. Aux politiciens, au ministère del’Éducation, du Loisir et du Sport, aux publicistes et aux industries forestières. Un certain personnage de premier ministre, obsédé par sa chevelure dorée, semble tout droit sorti d’une caricature des pages d’un quotidien.

Beauchemin a déjà signé quatre livres pour enfants aux éditions Québec Amérique. «Il y a des animaux dans tous mes précédents romans pour enfants. Sauf qu’ici, je me place d’un point de vue différent, plus réaliste. Car je suis un romancier réaliste. Je pars du réel pour déborder un peu», explique-t-il. Sans compromis d’écriture ou de vocabulaire et avec une totale liberté de forme: «Je suis devenu comme un vieux chat qui sait retomber sur ses pattes. Le métier est un instinct d’abord, mais il y a aussi une expérience, une habileté qu’on acquiert. Il ne faut pas que ça devienne mécanique, sinon ça sent la recette. Pour moi, un romancier est essentiellement un conteur. La démarcation est parfois très mince; dans le conte, il y a une connotation de féerie, au-dessus de la condition ordinaire.» Comme ses animaux parlants, dont la philosophie est dévoilée par le père de Renard Bleu: «Il faut prendre ce qu’il y a de bon chez les hommes tout en continuant de vivre la vie simple des animaux.»

Encore tout imprégné de ce récit, Beauchemin ne pense pas encore à son prochain projet: «Quand je termine un roman, je n’ai aucune idée de ce que je vais faire. Faut que les batteries se rechargent. Je n’ai pas beaucoup écrit, comparé à Michel Tremblay ou Yves Thériault.» Celui que la presse a déjà qualifié de «Balzac québécois» doit, pour produire, se plier à une discipline de fer. Au bureau de 10h30 à 18h30 tous les jours, il s’astreint à écrire au moins trois pages car, pour lui, «écrire, c’est lutter contre la paresse». Pas de problème d’imagination ou de blocage de la page blanche, cependant: «Ce n’est pas [sur le plan] de la conception que je sue, mais [sur celui] de la forme, du peaufinage.»

Au fil de la discussion, l’auteur admet que pondre un quatrième opus de «Charles Le Téméraire» ne lui déplairait pas. «C’est le livre auquel je suis le plus attaché, avoue-t-il. Je ne sais pas si ça va être le jugement du public. J’ai une étampe Matou au milieu du front, c’est un peu pesant. Comme Tremblay qui est pogné avec Les belles-sœurs. Mais est-ce qu’on peut se plaindre de ça?»

Avant d’entamer un prochain chapitre de la vie de Charles, Beauchemin, qui s’inspire de la réa­lité, doit attendre que la vie rattrape l’art. Qu’elle le dépasse. «Le tome dont je rêve doit se produire dans la réalité», explique cet indécrottable souverainiste. Ça, ça ferait une belle fin de roman.» L’écrivain est en effet convaincu que le Québec est appelé à disparaître s’il ne devient pas indépendant. «Aucune culture n’a survécu sans posséder les moyens politiques de voir à ses intérêts. C’est impossible. On est en train de sombrer dans la médiocrité la plus totale au point de vue politique. L’avenir du Québec m’apparaît entre mauvaises mains. Et puis, j’arrive à la fin de ma vie. Personne ne va me faire croire que je vais vivre encore soixante-sept ans. J’aimerais pouvoir quitter cette planète avec une nouvelle délectable.»

En attendant, Beauchemin espère que petits et grands se retrouveront autour de Renard Bleu avec plaisir et délice, puisque pour lui, «le but de la littérature, est d’apporter de la joie».

Bibliographie :
Renard Bleu, Fides, 384 p. | 24,95$

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