Yves Beauchemin : Charles premier

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Yves Beauchemin se plait à répéter que Charles le téméraire pourrait être son dernier roman, tant il a l'impression qu'il serait incapable de se surpasser après cela. Voilà une nouvelle qui risque de déplaire à ses lecteurs et lectrices, qui se sont rués en librairie dès la sortie du premier tome de cette saga retraçant la vie d'un héros hors du commun, de sa naissance, en pleine Révolution tranquille, à l'époque contemporaine. Rencontre avec un perfectionniste inquiet.

Votre livre débute avec la naissance de votre héros en 1966, année de l’inauguration du métro de Montréal : dans quelle mesure l’avènement de ce moyen de transport a-t-il changé la vie des Montréalais ?

L’arrivée du métro signale la fin des paroisses, des villages et de leurs codes ; c’est ce qui a unifié la ville. Et très vite, ce moyen de transport m’est apparu comme un personnage en soi. C’est avec lui que s’est développé le Montréal souterrain, au début très modeste, mais qui ne cessera de grandir. Et puis, le métro a fait de Montréal une ville moderne, au même titre que Paris, Londres ou New York. Voilà autant de raisons qui m’ont fait choisir cette date pour la naissance de Charles…

Vous avez toujours affirmé que vos romans n’étaient pas autobiographiques. Néanmoins, un pareil livre s’abreuve forcément à la source de la mémoire personnelle, non ?

Bien sûr. Si je n’avais pas vécu si longtemps à Montréal, je n’aurais pas pu y situer mon intrigue là. Et c’est vrai que Charles partage avec moi l’amour des livres, mais nos points communs s’arrêtent là. J’ai essayé de placer mes personnages dans un décor réel et concret.

Mais n’est-ce pas le cas de tous vos autres romans ?

Oui. Sauf que jusqu’à Charles le téméraire, j’avais toujours situé l’action au moment exact du début de l’écriture. Par exemple, comme je l’ai commencé en 1969, L’Enfirouapé se déroule en 1969. C’est vraiment la première fois que je m’autorise une plongée dans le passé, même si c’est un passé somme toute pas très éloigné. Et puis, règle générale, l’action de mes romans était toujours circonscrite sur une période de deux ou trois ans maximum, alors qu’elle se déploiera ici sur une trentaine d’années. C’est ce qui fait de ce livre mon plus ambitieux, celui où je me suis le plus investi.

Vous avez mis la barre très haute, mais blaguez-vous quand vous affirmez que ce livre pourrait être votre dernier ?

Je ne blague pas. Il se pourrait très bien que ce soit le cas. C’est drôle, l’idée m’habite depuis que j’ai commencé à l’écrire, je ne sais pas pourquoi. J’aurais peut-être le goût de faire du journalisme, comme Charles s’apprête à le faire à la fin de ce tome. Parce que je ne sais plus très bien ce que je pourrais écrire après. C’est vrai que je me sens toujours un peu comme ça après l’écriture d’un roman… Mais au cours de ma carrière, j’aurai publié des livres qui totalisent quelque chose comme quatre ou cinq mille pages. Peut-être que ça suffit. Il faut penser aux arbres, après tout… (rires)

On en convient, c’est un livre ambitieux, mais en quoi le défi vous semblait-il plus grand que celui que posaient vos précédents romans ?

D’abord, par l’ampleur de l’œuvre ; le roman complet comptera près de 1700 pages et un livre s’écrit phrase après phrase. Et puis par le propos : je n’avais jamais raconté l’évolution d’un être humain de sa naissance jusqu’à la trentaine. J’ai décrit à peu près toutes les étapes de la vie humaine, sauf l’extrême vieillesse, que je n’ai encore jamais abordée. Je n’étais pas certain de pouvoir me replonger dans l’adolescence. Heureusement, j’ai revécu, il n’y a pas si longtemps, une partie de mon adolescence à travers celle de mes fils.

Vous abordez le thème de la violence faite aux enfants en faisant de Charles le fils d’un père brutal et alcoolique. Qu’est-ce qui vous a fait choisir ce sujet ?

D’abord, ce n’est pas la tentation autobiographique : mon père n’était ni alcoolique ni violent, c’était un homme rigoureux et austère pour qui la vie se résumait au travail. L’alcoolisme du père de Charles s’est imposé tout seul, pour créer une tension dramatique. S’il n’y avait pas eu d’embûches pour le héros, il n’y aurait pas eu de récit. Je ne suis quand même pas le seul à penser que les bons romans racontent ce qui se passe quand ça va mal. Un romancier pourrait bien tenter d’écrire sur la contemplation du bonheur, mais ça donnerait un livre statique.

On a voulu faire des rapprochements entre le jeune Charles et Monsieur Émile, protagoniste du Matou, deux enfants issus de milieux populaires et confrontés à des réalités très dures. Qu’en pensez-vous ?

Le parallèle est évident et inévitable dans la mesure où il s’agit de deux enfants d’origine modeste. La grande différence, c’est que Monsieur Émile est une figure tragique, maquillée en personnage drolatique. Il meurt à six ans : sa vie relève de la catastrophe totale. Tandis que Charles, plutôt que d’être une victime, aspire littéralement à un statut de héros. Et c’est ainsi que le personnage est né en moi : c’est un combattant, un bâtisseur.

Vous n’écrivez pas de romans à thèses, mais on connaît vos idéaux politiques à cause de vos sorties publiques : comment votre idée de la nécessité, de l’œuvre à bâtir n’est-elle pas liée à ce rêve de la nation à fonder qui vous tient à cœur ?

C’est sûr qu’on pourrait faire de cette histoire une allégorie et tenter de voir en ce combattant fragile, mais déterminé, une métaphore du Québec. Sauf que je n’ai pas cherché à écrire une allégorie ; ça m’apparaît comme une démarche beaucoup trop abstraite, ça ne m’intéresserait pas. Mais il est évident que la question de la nation m’anime, qu’elle me préoccupait déjà au moment où j’écrivais L’Enfirouapé, qu’on considère comme le plus explicitement politique de mes romans…

Bibliographie :
Charles le téméraire (t. 1) : Un temps de chien, Fides

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