Le roman Les falaises porte bien son nom : en constante perte d’équilibre, V., la narratrice, se trouve sur la ligne du risque; celle où les deuils viennent s’échouer et où la digue menace de rompre. Devant le précipice, elle devra choisir entre se laisser aspirer ou lever la tête vers le fil d’horizon.

Votre livre est habité par la matérialité de la nature et des éléments : le vent, les marées, la pluie, les falaises… Le paysage sert-il à incarner les émotions qui traversent votre personnage?
Je crois qu’il s’agit plutôt d’une symbiose, de parler du ciel et des falaises comme d’une manière de véhiculer une émotion et de l’intérioriser à la fois. J’ai une relation toute particulière avec le fleuve, les marées, l’odeur du vent salé, ayant passé mon enfance et mon adolescence tout près du Saint-Laurent. C’est devenu au fil du temps une échappatoire à portée de main. C’était tout quitter, mais à deux pas de la maison. Le temps coule différemment, là-bas, quand on n’a rien d’autre à faire que d’être en vie. C’est un terreau fertile au calme et à la rage, à tout ce que la réflexion implique. C’est une façon d’exister avec le monde de laquelle je ne peux pas me détacher et qui fait sans doute partie des choses que j’ai laissées à ma narratrice. La nature lui permet de mieux parler d’elle et l’influence beaucoup dans ce qu’elle ressent.

Votre personnage décide de refaire le même chemin que celui emprunté par sa mère et sa grand-mère, et d’ainsi rattraper, en quelque sorte, les rendez-vous manqués. Croyez-vous que toutes les histoires peuvent être sauvées de leurs écueils?
Bien que je croie au pouvoir salvateur du temps, je crois aussi que le pardon a ses limites. Pour la narratrice, le fait de rencontrer trop tard cette famille qui lui a glissé des mains lui permet de faire cette rencontre selon ses propres termes, à son rythme, en gardant et en laissant ce qui lui plaît. Mais ces rendez-vous restent manqués : des ombres de ce qu’ils auraient pu être, des femmes qu’elle se dessine, mais derrière un mur de brouillard. Je crois que le pardon complet, que l’acceptation totale ne sont pas réellement possibles. Il restera toujours une petite colère, une petite déception, un petit manque impossible à combler. Il s’agit d’apprendre à les intégrer, d’apprendre à faire partie de ce tout imparfait sans que ça nous déchire. Que les écueils nous fassent avancer malgré tout.

Vos personnages ont un besoin organique de liberté. Pour vous, l’écriture est-elle un espace pour l’assouvir?
Tout à fait. J’ai toujours trouvé qu’il y avait quelque chose de vertigineux et d’excitant de possibilités dans une page blanche, mais ce roman se teinte d’une compréhension nouvelle, d’un apprentissage que je ne pensais pas faire. Plus je vieillis, plus je ressens le besoin d’être en contrôle des choses, au sens où j’appréhende la liberté comme une façon de ne pas être dictée par ce qui me tire vers le bas. Donc d’être en contrôle, « en paix » avec le négatif afin de mieux vivre le positif. L’écriture de ce livre a été pour moi quasiment cathartique. J’ai toujours été sceptique de cette « écriture thérapeutique », et c’est donc un peu malgré moi que j’écris cette réponse. J’ai voyagé en parallèle à ma narratrice, à la recherche du plus grand, du plus lumineux et du plus libre qu’apporte le pardon – de soi et des autres. J’en ressors autre sans être étrangère, le souffle un peu plus calme. Ce livre est venu me chercher au plus profond; on a grandi ensemble, et le vertige et l’excitation des possibles d’écriture se transforment en vertiges et en possibles de sa parution, de son existence dans le monde réel, d’où il va nous mener. C’est un peu, j’imagine, ce qu’on ressent quand on met un enfant au monde : le vide de ne plus l’avoir qu’à nous, et l’excitation terrifiante de voir ce qu’il va devenir.


Photo : © Laurence Grandbois Bernard

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