Suzanne Myre : D’encre, de sang et de montagnes russes

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Il existe très certainement des F.M.M. (Femmes de médecin malheureuses), des E.M.C. (Épouses malmenées de comptable), puis sans doute des M.R.N. (Maîtresses de réalisateur narcissique). Dans son plus récent roman, la narratrice de Suzanne Myre est une B.E.C. (Blonde d’entrepreneur en construction). « Ça confère un statut, ça sonne presque comme s’il s’agissait d’un titre d’emploi », prévient l’écrivaine. Tout part de ça et se déploie dans la vie d’une femme qui n’est plus assez jeune pour regarder devant en souriant candidement ni assez vieille pour ne pas être hyperlucide quant aux ravages du temps. La B.E.C. n’est pas une espèce en voie d’extinction. Malheureusement. Au moins, il reste l’humour.

« Rares sont les gens qui parlent ainsi sans détour et qui ne se cachent pas derrière un beau vernis dont ils passent leur vie à s’enduire et à épaissir les couches, vivant dans la crainte de le voir égratigné », lit-on dans B.E.C. Blonde d’entrepreneur en construction au sujet d’Édith, personnage secondaire, mais ô combien puissant. Ces mots pourraient aussi coller à Suzanne Myre, elle-même d’une franchise désarmante, voire attachante. Entière, elle se révèle derrière sa littérature ou en entrevue. L’écrivaine, elle, invente des personnages qui hurlent, sabotent, commettent des frasques et font des pirouettes sans se ménager, comme dépourvus d’égo, mais avec sincérité.

Littérature bipolaire
Puis, derrière des aventures désopilantes quasiment surréalistes, camouflé entre des virgules et des points d’exclamation – beaucoup de points d’exclamation –, un fond de sérieux demeure, caustique, noir et franc, sans enrobage ni fioritures. Résultat : une lecture sportive et bipolaire; entre rires et larmes. C’est ainsi qu’après plusieurs recueils de nouvelles et un roman, Suzanne Myre a su gagner un lectorat fidèle, abonné à ses montagnes russes. Rien de banal ou de lisse chez cette écrivaine qui dissèque l’être humain et ses relations au scalpel rose bonbon.

Dans B.E.C. Blonde d’entrepreneur en construction, il s’agit bel et bien d’une femme, Laurence, qui sort avec un entrepreneur en construction qu’elle aime sans rien trop espérer en retour. Et c’est bien là le problème. Jusqu’où mènent ces relations? Puis, entre les femmes et les hommes, dans la grande balance de la vie, est-ce qu’il y a un équilibre dans leurs rapports sentimentaux? Comment combler le vide laissé par le désamour? L’héroïne au cœur de ces questionnements travaille dans la bibliothèque médicale d’un hôpital. Elle a la quarantaine, mesure 5 pieds et 6 pouces, pèse 125 livres dont une vingtaine répartie autour du nombril, raffole de séries comme « Downton Abbey » ou « Girls » et pique des petites affaires ici et là.

Bref, elle pourrait ressembler à votre voisine ou… à Suzanne Myre! « Je voulais, à partir d’une expérience personnelle, faire un truc qui touche l’universel. On s’est toutes, un jour, empêtrées dans une relation qui nous amoindrissait au lieu de nous faire évoluer, non? Pour certaines, une relation dans une vie, pour d’autres, plusieurs, avant de trouver la bonne et parfois, on ne la trouve jamais. C’est alors qu’il faut vraiment chercher à comprendre pourquoi ça ne marche jamais, se responsabiliser, marcher sur son chemin de croix. »

Poils pubiens et désespoir
Au fil de ces 330 quelques pages, il y a d’ailleurs plus d’une croix sur le grand chemin… Si l’amour occupe une place prépondérante, vieillissement et culte des apparences, sujets qui font couler beaucoup d’encre et de vociférations, vont de pair avec la relation conjugale boiteuse entre Laurence et Jean-Marc, l’entrepreneur en question. Parce qu’avec Suzanne Myre, le lecteur ne se perd jamais dans le drame pur ou le pathos, l’humour demeure présent, certes, mais en filigrane toujours, une odeur d’amertume plane… notamment autour du fameux et anxiogène retour d’âge : « Mes poils pubiens se mettent à blanchir! Et à se raréfier! Mes cheveux aussi! Ma coiffeuse est désespérée; peux-tu trouver plus angoissant qu’une coiffeuse désespérée au-dessus de ta tête avec des ciseaux! […] On devrait avoir le droit à l’euthanasie dès la ménopause, avant que notre mari ne veuille lui-même procéder », déclare Édith, la nouvelle amie de Laurence. « Ce n’est pas drôle, même si je l’ai présenté de manière drôle. Non, ce n’est pas comique du tout. Mais si on est accompagnée d’un homme qui nous aime vraiment, je pense que ça fait la différence. […] En fait, je crois que l’homme devrait être obligé de suivre un cours “Ménopause 101”, il comprendrait mieux ce qui nous afflige et accepterait notre monstrueuse transformation, nos humeurs en dents de scie, notre envie de passer au scalpel… à laquelle il faut résister, bien sûr. Se faire remonter la face ne changerait rien aux bouleversements internes. Mon Dieu, il ne faut pas me partir sur cette question! », lance l’écrivaine.

Plaisir au clavier
Mais c’est justement quand elle se laisse aller que la plume de celle qui a commencé à publier « officiellement » à 40 ans est la plus poignante. Préposée à la centrale des messagers à l’hôpital Notre-Dame, Suzanne Myre n’écrirait d’ailleurs pas dans ses temps libres si l’écriture ne se produisait pas dans le plaisir. « Ça ne servirait à rien de s’infliger cette ingrate posture solitaire devant un clavier d’ordinateur plein de miettes de toasts alors qu’il y a tant de bonnes séries télé devant lesquelles perdre son temps en mangeant des chips. »

L’auteure de sept livres, dont plus de la moitié sont des recueils de nouvelles, y va de répliques qui sortent sans filtre, les fictives comme les réelles. C’est à se demander si B.E.C. n’existe pas pour adoucir la traversée de l’existence, pour rendre aussi, par le fait même, celle des lecteurs plus comique, le temps d’un roman qui change un peu l’être qui l’a sous les yeux. Au final, ce qui fait la magie de ce roman réside sous l’encre, là où il y a quelques gouttes de sang… Bien sûr, nul ne s’en plaindra.

 

Photo : © Sarah Scott

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