Stéphanie Pelletier : Suivre la vague de fond

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Histoire sur la nécessité de provoquer le changement lorsque le moment est venu, Dagaz est un roman ambitieux, d’une écriture fine et maîtrisée, qui nous entraîne sur les berges houleuses du Saint-Laurent. Dans un hymne à la nature et à la dualité qui se trouve en chacune des femmes, Stéphanie Pelletier prouve que l’écriture du roman lui sied aussi bien que celle des nouvelles. 

Votre premier livre, Quand les guêpes se taisent, a remporté le GG en 2012. Comment s’attaque-t-on ensuite à la rédaction d’un roman? La pression est-elle plus grande, ou au contraire, ce prix vous donne-t-il le vent dans les voiles?

Je dirais les deux! Heureusement, le roman était commencé depuis plus d’un an quand j’ai reçu cette époustouflante annonce. Je n’en reviens toujours pas, je pense que je n’en reviendrai jamais. Alors le lendemain, lorsqu’on s’assoit derrière la table de travail on fait quoi? On essaie d’écrire comme la récipiendaire d’un prestigieux prix littéraire devrait écrire ou on se dit qu’ils nous l’ont remis parce qu’on écrit comme la récipiendaire d’un prestigieux prix? Ni un ni l’autre en fait. On s’assoit, on ouvre le fichier « roman », on plonge et on fait comme on faisait hier : de notre mieux et surtout avec amour et intégrité, mais avec une petite dose de confiance en bonus!

Dagaz, c’est deux histoires réunies dans un seul et même roman. Celle d’Isabelle dont le cœur balance entre Pierre (son mari) et Martin (son amour d’enfance); et celle de sa grand-tante Violette, disparue il y a des années sans que personne ne sache pourquoi. Laquelle des deux s’est imposée d’abord à vous, autrement dit, laquelle est à la base de la seconde?

Difficile de répondre à cette question, parce que j’ai mûri cette histoire pendant cinq ans. J’avais l’idée de raconter le récit de la vie d’une femme qui se sent prisonnière dans son village natal, dont les liens amoureux et familiaux sont trop étouffants et qui, un jour, part sans jamais revenir et sans donner signe de vie. Mais je voulais aussi raconter sa vie après ce départ. Quand j’ai commencé à écrire le roman, je pensais que ce personnage était la narratrice Isabelle. Maintenant qu’il est terminé, je me demande s’il ne s’agit pas de Violette. Je crois que je les imagine un peu comme des alter ego. 

Si je savais dès le départ exactement comment l‘histoire va se dérouler, si j’en connaissais d’avance chaque rebondissement, je pense que je n’aurais pas envie d’écrire. Je préfère avancer à la machette dans une forêt vierge où je me trace un sentier semé de surprises et de dangers. C’est long et fastidieux, je rebrousse souvent chemin, mais le moins qu’on puisse dire c’est que je ne m’ennuie pas.

Vous sondez dans votre roman les relations, souvent complexes, intergénérationnelles féminines. En quoi cela est-il un terreau fertile pour vous?

Les relations intergénérationnelles sont un terreau fertile parce qu’elles nous constituent malgré nous et à notre insu. Je crois que l’hypothétique fessée que mon arrière-arrière-grand-père a donnée à mon arrière-grand-mère ce matin froid de novembre où elle a fait pipi au lit à 4 ans (ou tout autre acte posé sur ou par mes ancêtres) peuvent avoir eu des répercussions sur la façon dont ma mère et mon père m’ont élevée, mais je l’ignore et c’est ce qui est fascinant et inquiétant. Dans quelle mesure sommes-nous construits par notre historique familial? Dans quelle mesure pouvons-nous lui tourner le dos pour nous définir ou pour renaître?

Vous vivez à Métis-sur-Mer. En quoi cela vous inspire-t-il? Votre roman ne se déroule pas dans une grande métropole, sans que pour autant un lieu ne soit précisé. Est-ce dans votre ville natale?

Oh! Le roman se déroule à cheval entre Métis-sur-Mer, Saint-Octave et Padoue dans le désormais mythique 5e rang comme je m’amuse à la répéter. Bref, il suit son cours dans l’heureux métissage de quelques municipalités du Bas-Saint-Laurent. Ce sont la nature et la sauvagerie qui m’inspirent. Il me semble que le livre est grouillant, gorgé, empli de petits souffles d’animaux, d’odeurs de plantes et de terre, d’intempéries, alors oui, le territoire que j’habite m’inspire. Parfois j’aurais envie de ne parler que de grenouilles ou de couleuvres, mais j’aurais peur que les gens s’ennuient, alors je raconte l’histoire de quelques êtres humains qui s’agitent au premier plan pour me permettre de glisser subtilement un poirier, deux ou trois fleurs et un vieux lièvre… Ce sont eux mes véritables héros!

Isabelle vit une relation de couple peu répandue : elle est en « couple ouvert » avec Pierre, son conjoint, à qui elle annonce qu’elle a un amant avant même qu’un baiser, voire une longue conversation, n’ait été échangé avec Martin, son voisin. N’est-ce pas là, justement, le début de sa perte, annoncé dès la toute première ligne du roman?

Dire « le début de sa perte » serait annoncer qu’Isabelle va se perdre, alors que j’ose espérer que cette difficile aventure va plutôt lui permettre de se retrouver ou de se découvrir. Je crois que la douloureuse histoire d’Isabelle s’est amorcée bien avant que le roman ne commence et je pense que cette histoire « d’amant » avec des guillemets est plutôt son dernier soubresaut de vie, sa dernière impulsion pour arriver à se sortir d’un piège où elle meurt déjà à petits feux.

Quelle différence voyez-vous entre la rédaction de nouvelles et celle d’un roman. Préférez-vous l’un à l’autre ou ces deux formes d’écriture se complètent-elles simplement dans votre démarche d’auteure?

J’aime les deux! Je crois que la différence se situe d’abord du côté du temps. Temps de l’écriture et temps du récit. Si j’ai décidé de passer au roman cette fois, c’est parce que je trouvais de plus en plus difficile de terminer mes nouvelles et je réalisais que j’avais soif de me plonger dans une histoire pendant un plus long laps de temps. Pour moi les nouvelles sont la description de brefs éclats de lumières, intenses et saturés, qui traversent l’espace d’un instant un moment de la vie quotidienne le gorgeant de tout le sens de la vie humaine. Le roman, quant à lui, permet une vaste et dangereuse plongée dans l’inconscient dont on ne ressort pas sans avoir manqué d’air à quelques reprises. 

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