Stéphane Dompierre: Des vertus libératrices du massacre

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Stéphane Dompierre a accouché d'un monstre et il jubile, fort d'un sentiment de libération. Ce monstre, c'est le sanguinaire, le tranchant (littéralement), l'imprévisible, l'impayable et l'érudit pirate Morlante, héros étrange aussi violent qu'introspectif, qui anime sans même reprendre sa respiration le petit roman qui porte son nom.

Morlante se lit d’un trait: c’est une mine explosive d’action et d’humour que vous trouverez sous le pavillon Coups de tête, la maison d’édition de Michel Vézina. C’est d’ailleurs pour répondre à la demande de ce dernier que Stéphane Dompierre a donné le jour à Morlante, brodant autour d’un thème qui lui trottait dans la tête depuis un moment.

Dans la cale d’un bateau anglais, Morlante poursuit tranquillement sa carrière d’écrivain. On ne l’emploie pas pour son talent à raconter des histoires ou sa calligraphie soignée: quand le navire est la cible des pirates ou d’une armée ennemie, il range sa plume, sort ses machettes et rentre dans le tas. Après tout, on ne marque pas son époque en écrivant des livres, mais en tranchant des gorges.

L’écrivain québécois qui nous a donné
Un petit pas pour l’homme et Mal élevé, deux romans centrés sur les relations hommes-femmes et la génération 25-35 ans du Plateau-Mont-Royal, explique avoir refusé une première fois l’offre de Coups de tête puis, au deuxième abordage, être monté à bord du mouvant navire. Son objectif était aussi limpide que les eaux des Caraïbes: pondre un roman de piraterie pour un public adulte. Morlante, précise Dompierre, tranche donc (outre les membres de ses ennemis) avec la production littéraire québécoise actuelle. Que l’on soit clair: l’auteur ne place en cet ouvrage aucune prétention intellectuelle, mais cherche plutôt à explorer le thème des relations humaines, un sujet récurrent chez lui.

Une rupture salutaire
La maison d’édition de Michel Vézina était toute désignée pour ce type de projet. Coups de tête a une vocation très claire; elle se donne pour mission de publier des romans de gare de qualité pour grand public, en fait de réhabiliter le genre, pour offrir des romans sans prétention, mais efficaces. En entreprenant la rédaction de Morlante, Stéphane Dompierre reconnaît qu’il sortait clairement de sa zone de confort, lui qui crée habituellement dans le giron de Québec Amérique. Mais pourquoi cette escapade en des mers inviolées? «J’avais l’idée [d’apprivoiser] un lecteur récalcitrant que je rencontre souvent, entre autres dans les cégeps, de jeunes hommes qui ne se retrouvent pas dans les romans traditionnels.» Ironiquement, bien qu’il ait pensé aux hommes en premier lieu pour Morlante, le livre a tout de suite plu aux filles de son entourage.

Dompierre soutient que Morlante a constitué une saine rupture par rapport à son travail habituel: «J’ai écrit ce petit roman épique pour rompre le long et solitaire travail d’écriture… Quand on travaille trois ans, trois ans et demi sur un roman, on est seul, c’est long.» La rédaction de Morlante, elle, a été d’une fulgurante rapidité, à cause, dit-il, de la nature du livre: «Je l’ai écrit en deux mois, plus un mois de corrections, en suivant un plan clairement établi. Sans me poser trop de questions, avec un mandat clair, un roman d’action, qui ne demande pas trop de réflexion. C’était parfait comme ça.» Tout de même, souligne l’auteur, il serait trompeur de croire que Morlante a été une voie facile, un calme voyage en eaux paisibles: «Le livre a quand même nécessité pas mal de lectures, de recherche, c’était d’ailleurs fascinant. J’ai adapté des noms, ceux des navires, par exemple, et des lieux.» Et introduit des anachronismes délirants. Intacte, la touche Dompierre.

L’humour est, on le sait, une constante dans l’œuvre de Dompierre. Pour ses projets à venir, ce trait sera toujours au rendez-vous, pas question d’y renoncer; d’ailleurs, on sent que cela fait partie intégrante de l’homme, du créateur. Humour, donc, dans Morlante, dans la définition même de ses personnages hauts en couleur. Morlante, dont le nom visait au départ à évoquer un être inquiétant, mais qui, a-t-on fait remarquer au romancier, est fortuitement l’anagramme de Montréal!

Sacrée diablesse
Morlante, pirate monstrueux, sanguinaire, mais aussi écrivain génial et homme à fleur de peau qui, d’un coup de sabre gracieux, étête ses ennemis comme autant de tulipes en devisant sur la vie et le rôle des belles-lettres, mais aussi en se posant de grandes questions sur les femmes. Ou la femme, plutôt. Car le plus beau personnage, confie Stéphane Dompierre, est celui de Lolly Pop, la flamme sauvage de Morlante, «flibustière» également éprise d’effusions d’hémoglobine. Une femme à la sexua­lité débordante qui vit un féminisme aussi littéral que sanglant, exprimé le plus souvent à coups de botte au visage des malfrats qui en veulent à son équipage ou, accessoirement, à sa vertu. Une idylle sanglante se noue entre Morlante, amoureux transi, et la bougresse, une affaire de cœur et de sang qui se dénouera dans le massacre, la poudre et le mystère, car la fin de l’aventure demeure ouverte, sujette à l’interprétation.

Stéphane Dompierre vit très bien avec le fait de publier chez deux éditeurs aux vocations différentes, pour des types de romans qui le sont tout autant: «Comme écrivain, je dois beaucoup à QA. Si j’avais senti que cela les gênait que je publie ailleurs, je ne l’aurais pas fait. D’un autre côté, je ne pense pas que si je leur avais proposé un roman de piraterie pour adultes, ils l’auraient accepté…» L’écrivain souligne également que travailler dans un autre genre le «garde allumé». On sent qu’il ne veut pas tomber dans la facilité, adopter une recette. Et tout en accordant un grand crédit à la façon dont le lecteur accueille son œuvre, Stéphane Dompierre dit ne pas vouloir ou pouvoir axer son écriture sur ce que les lecteurs peuvent attendre de lui, mais plutôt s’investir de façon très personnelle et, au final, dire ce qu’il a à dire: «J’écris avant tout pour mon plaisir, pour mettre sur papier ma façon de voir les choses.»

Bibliographie :
Morlante, Coups de tête, 160 p. |­ 14,95$

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