Stéphane Bourguignon ou le virus de l’écriture

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Propulsé sur la scène littéraire avec son premier roman culte, L'avaleur de sable (Québec Amérique, 1993), Stéphane Bourguignon a publié depuis trois romans très différents les uns des autres et scénarisé, avec un énorme succès, des téléséries axées sur l'intimité de plusieurs personnages (La vie, la vie et Tout sur moi). Rencontre avec un homme passionné qui mène de front deux métiers.

Depuis la parution de Sonde ton coeur, Laurie Rivers (Québec Amérique, 2007), que s’est-il passé dans votre vie?
Je n’ai pas vu le temps passer. La série télévisée Tout sur moi a pris toute la place, presque à temps plein. C’est donc plus difficile de s’immerger parallèlement dans un autre processus de réflexion et d’écriture. Ça fait deux ou trois ans que je cherche l’étincelle. Je me rends compte, peu importe le projet de scénarisation sur lequel je travaille, que mon esprit s’en va toujours vers l’écriture romanesque, à l’affût d’une idée, d’un thème, d’une histoire, d’un personnage. Actuellement, plusieurs histoires m’habitent, mais j’hésite encore. Récemment, une histoire vraie, lue dans le New York Times, m’a bouleversé: un homme a été disculpé du meurtre d’une jeune fille après avoir passé vingt ans en prison pour en sortir à l’âge de 38 ans. J’ai imaginé la réadaptation de cet homme qui a été isolé dès l’adolescence d’un paquet de codes et d’influences, sans compter les bonds technologiques qu’il n’aura pas vécus.

La télésérie La vie, la vie vous a permis de toucher un plus grand public. Depuis ce succès, écrivez-vous avec le souci d’augmenter votre lectorat?
Non. Ce qui m’importe, c’est d’écrire les livres que j’ai envie d’écrire et de ne pas être passif en tant qu’écrivain. Mon travail consiste d’abord, quand j’entame un nouveau projet, à me libérer des attentes pour pouvoir écrire librement. Il faut que je me mette en danger, que je me renouvelle, que j’approfondisse avec plus de dextérité et de moyens les thèmes qui me tiennent à coeur.

Qu’avez-vous appris de nouveau sur vous récemment?
Cette année, j’ai beaucoup diminué mes heures, mon stress… et le travail s’est aussi bien passé. J’étais davantage détendu malgré les échéanciers serrés. Je suis plus à l’écoute de mon mécanisme de création; j’attends le bon moment pour m’attabler et rédiger. C’est que ça prend une bonne dose de confiance, parce que le deadline, lui, ne recule pas! Ce qui me manque, c’est de baigner dans un univers romanesque; la télévision n’offre pas cette immersion totale dans un sujet. Par contre, le processus est moins solitaire, tu peux te faire lire au fur et à mesure. L’écriture d’un livre se communique plus difficilement: on n’est pas dans l’événementiel comme dans un scénario.

Vous avez déjà dit que vous avez constamment l’impression d’être en train de travailler lorsque vous lisez. Est-ce toujours le cas?
Lire, c’est travailler. Ça m’angoisse complètement, sauf quand je lis des romans policiers. Je ne suis plus capable de lire des classiques! Je n’ai pas de patience: j’entame trente livres par année et j’en termine dix. Je veux lire des romans modernes, originaux. Récemment, ceux de Paula Fox m’ont beaucoup plu. Je ne veux pas qu’on me conte une histoire, j’aime autant regarder un film; il faut qu’il y ait un monde particulier, une écriture. Je suis toujours à la recherche de livres qui vont nourrir mon prochain projet et m’aider à me situer comme écrivain. Par contre, je lis beaucoup de journaux, de revues, parfois des ouvrages scientifiques ou techniques sur la scénarisation, des essais sur l’écriture du polar, entre autres, pas parce que je tiens à en écrire un, mais parce que j’ai envie de tirer quelques leçons que je pourrais mettre en pratique dans mon travail, en termes de suspense, de tension. Je butine, alors que ma blonde est capable de lire plusieurs livres par semaine! Elle m’en suggère d’ailleurs plusieurs, qui s’empilent sur ma table de chevet.

Préférez-vous la période de gestation d’un roman ou celle de son écriture?
Je ne suis pas bien si je n’ai pas dans ma tête l’ébauche d’un plan! Je me fais des fiches, des plans; je travaille des idées, à temps perdu et sans obligation, même si je sais que je ne peux pas commencer à écrire un roman maintenant. J’ai besoin de sentir que je suis vivant comme écrivain. La gestation, c’est long, l’écriture aussi: au moins un an. J’aime les deux, jusqu’au moment ou l’un d’eux devient douloureux. Parfois, tu n’as pas le talent de tes ambitions. Quand tu en rêves, tu te projettes comme étant un meilleur auteur que tu es. Tu ne rêves pas avec tes limites, mais avec tes «super moyens». Et quand vient le temps d’écrire et que tu te retrouves parfois avec des phrases boiteuses ou que tu retouches 350 fois le même chapitre, c’est difficile. Tous les écrivains le disent: le moment le plus dur, émotionnellement, c’est quand tu réalises que tu ne seras pas capable de faire ce que tu espérais réaliser. En vieillissant, c’est plus difficile de mettre les choses en branle. Ça demande tellement d’énergie, la création de ces univers-là. C’est une partie de plaisir… éreintante. Je sors de chaque projet ou livre épuisé!

Que faites-vous en dehors d’écrire pour vous ressourcer?
Ma blonde me suggère de partir en voyage, ce que je fais d’habitude deux fois par année. Mais là, en ce moment, ça ne me dit rien. Je vis vraiment toujours à la remorque de mon cerveau, suspendu aux idées qui risquent de passer. Je n’ai pas le goût de m’en aller, j’ai envie de rester aux alentours de mon bureau, au cas où deux ou trois bonnes idées arriveraient. Mais quand le cerveau n’est plus capable, j’arrête et je pars.

Quels sont vos projets?
J’ai écrit un scénario il y a plusieurs années. Je vais probablement passer à la réalisation dans un an ou deux: ce sera mon premier film, pas nécessairement pour devenir réalisateur, mais pour compléter l’expérience d’écriture. Sinon, je poursuivrai en janvier la scénarisation d’une autre saison de Tout sur moi, possiblement la dernière.

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