Simon Roy : L’art de réussir son premier roman

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À l’automne 2014, les libraires voyaient débarquer sur leurs rayons un petit livre à la discrète couverture bleue écrit par un écrivain jusque-là inconnu. Ils l’ont d’abord apprivoisé, puis ont littéralement adopté ce récit atypique, croisement entre une analyse fouillée du Shining de Kubrick et un récit touchant autour de la mère de l’auteur. Tellement adopté, en fait, qu’ils lui ont accordé en mai dernier le Prix des libraires 2015 dans le volet québécois.

Votre livre, un texte inclassable qui allie à la fois le récit, l’érudition et la fiction, a réussi à trouver son public et à séduire les libraires. Comment avez-vous vécu l’aventure de cette première publication?
Il y a deux ans à peine, que mon manuscrit trouve grâce aux yeux d’un lecteur aussi intransigeant que Robert Lévesque [directeur littéraire de la collection « Liberté grande », dans lequel Ma vie rouge Kubrick est publié] et qu’il se trouve une niche chez Boréal m’apparaissaient  hors de portée.  Je me sens donc privilégié d’œuvrer avec des spécialistes parmi les plus compétents de la profession au pays. Compte tenu de la nature initiale du projet (qui était de soumettre à une revue un article rendant hommage au génie de Kubrick), le parcours de mon livre me semble irréel. Les libraires sont des lecteurs assidus, éclairés et compétents : qu’ils consacrent mon livre me ravit. Le Prix des libraires est à mes yeux une sorte de légitimation qui me rassure sur la valeur de mon travail, compte tenu de la réputation des œuvres ayant remporté par le passé ce prix prestigieux.

Ma vie rouge Kubrick aborde un pan sombre de votre existence. À rebours, l’écriture a-t-elle donné un sens à cet événement?
Par l’écriture, j’ai tenté de donner un sens, fût-il fictif, à deux tragédies absurdes. Mais je ne suis pas dupe : le récit mis en forme n’a rien réglé sur le plan personnel. Du suicide d’une mère découle une multitude de questions troublantes, on le concevra aisément, et avoir écrit ce livre aura été, au mieux, une distraction m’ayant permis de ne pas regarder en face la réalité. L’acte d’écriture s’est ainsi imposé comme un bouclier qui a encaissé une partie du choc. Avec Rouge Kubrick, je me suis en quelque sorte étourdi dans le travail. D’écrire sur le drame de la perte de ma mère aura agi comme un filtre. Plutôt que de me complaire dans un marasme périlleux, j’ai choisi d’esthétiser l’horreur de son suicide. L’art, sur ce plan, a un pouvoir de transformation réel. 

Ce texte, éminemment personnel, était une façon de prolonger l’histoire commune avec votre mère. Est-ce difficile de tourner la page et de se lancer dans l’écriture d’un autre livre? Y a-t-il un projet en construction?       
La nécessité dont parlait Rilke, j’y crois. Rouge Kubrick est né de la nécessité : garder ma mère près de moi au-delà de sa mort. Ironiquement, alors qu’elle voulait disparaître, je l’ai introduite dans l’esprit de milliers de personnes ne l’ayant jamais connue. Ma mère n’aura jamais été aussi vivante que dans la mort. Il y a quelque chose de christique là-dedans. L’obsession pour son sujet devrait être le moteur principal de la création. Si l’œuvre est née d’une passion, le lecteur le ressentira et les chances sont bonnes pour qu’il y adhère sans retenue. Si je planche sur un nouveau projet? Oui, mais en parler risquerait de tuer l’urgence d’écrire. Il faut au contraire que ça gonfle en moi pour que l’écriture devienne libération.

Photo : © Catherine Fontaine

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