Serge Lamothe : Chroniques de l’incertain

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Qui sont les Baldwin ? Ce sont les pittoresques membres d'un clan qui peuple les quelque quarante fragments narratifs qui s'enchaînent pour constituer le nouveau livre de Serge Lamothe, voyons ! Mythe ou réalité, ces héros et héroïnes d'un monde aux confins du réel et de l'imaginaire ? " Les Baldwin existent, la chose est amplement démontrée, clame la préface. Mais la vraie question est : si vous en rencontriez un, sauriez-vous le reconnaître ? "

On vous avait connu avec une trilogie romanesque (La Longue Portée, La Tierce Personne, L’Ange au berceau, tous parus à L’instant même) ; voici que vous nous arrivez avec ces textes qui s’apparentent à la nouvelle. Qu’est-ce qui a motivé ce changement de genre ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un changement de genre. Les Baldwin relève d’un genre hybride. Je n’ai pas voulu identifier le texte comme un roman ou un recueil de nouvelles, parce que je crois qu’il présente des caractéristiques de l’un et de l’autre genre. Je voulais dépasser la catégorisation, tromper les attentes du lecteur, l’obliger à aller au texte et à le prendre pour ce qu’il est. S’il faut absolument accoler une étiquette à ce livre, je préférerais qu’on en parle comme d’une suite de récitations.

Déjà, vos romans témoignaient d’une certaine volonté de faire éclater la forme romanesque.

C’est vrai, l’exploration à laquelle je me suis livré dans mon écriture se situait dans l’éclatement des balises du roman, pour en tester les limites. L’univers des Baldwin, c’est un univers onirique. D’ailleurs, plusieurs des fragments sont des retranscriptions presque intégrales de rêves à moi. La forme brève convient à merveille à cet univers, parce qu’elle permet de suggérer beaucoup. Ce cadre me donnait une grande liberté et j’ai vite senti que je pouvais me laisser aller plus aisément au dérapage. Il faut dire que rien de tout ce projet n’a été sciemment décidé. Les Baldwin, ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi. Un matin, ils ont surgi comme ça. Ils étaient là, tout simplement. J’associe leur apparition à des rencontres. Les Baldwin ont fini par constituer ce petit clan. En quelques mois, je me suis retrouvé avec en tête le destin de ces personnages.

Sur le plan de l’écriture, qu’est-ce qui a changé par rapport aux intrigues très serrées, très proches du polar de vos précédents romans ?

Comme dans mes précédents livres, j’ai porté une attention particulière au texte, à la dimension écrite de la fiction. Ce qui ne veut pas dire que j’aie négligé l’histoire, mais pour moi l’histoire est d’abord et avant tout un prétexte. Dans Les Baldwin, j’ai conservé beaucoup de zones d’ombre. Le lecteur est invité à participer, à combler ces vides, à rêver. Voilà pourquoi les récitantes ont tendance à atténuer constamment leurs propos, à hésiter en multipliant les formules du genre :  » voilà, c’est comme ça que les choses se sont peut-être passé, encore qu’on ne peut pas en être tout à fait certains « . L’univers des Baldwin n’est pas une réalité facile à saisir, à cerner. D’où l’incertitude de mes narratrices, qui sont comme la voix des annales dont on ne peut assurer la véracité.

Cet art de l’incertitude fait forcément penser à Kafka, qui compte parmi vos écrivains fétiches si je ne m’abuse, et que vous citez d’ailleurs en exergue.

Je pense que Kafka a influencé tous les écrivains, que ceux-ci en soient conscients ou non, qu’ils l’aient beaucoup ou peu lu. Tout notre siècle a été influencé par Kafka. C’est une filiation que je ne renie pas, même s’il y en a d’autres que je pourrais revendiquer aussi. Ce qui fascine le plus, chez Kafka, c’est qu’il écrivait d’un jet des récits qu’il pouvait abandonner aussi aisément au bout de cinq lignes qu’au bout de cinq cents pages. Sa technique consistait à entrer dans le récit et en donner d’emblée l’expression de la perfection. S’il perdait en cours de route ce momentum, il abandonnait tout simplement le texte et passait à un autre.

Parallèlement à ce livre, Les Baldwin sont devenus un projet en arts visuels.

Oui, j’ai fait des Baldwin à l’acrylique sur papier. Je suppose que c’est parce que l’univers des Baldwin a continué à vivre en moi-même après que j’aie eu terminé la rédaction du livre. C’est un prolongement tout à fait inattendu, par lequel je me suis laissé tenter… Mais c’est juste pour m’amuser, je n’ai aucune prétention en arts visuels, qu’on se rassure.

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