Samuel Archibald: Projet de fou pour un bleuet

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Avec Arvida, Samuel Archibald, natif de cette capitale de l’aluminium, signe un premier livre de fiction où les fausses vérités côtoient les vrais mensonges; où s’expriment des personnages plus grands que nature; où l’ordinaire gagne en noblesse.

Décrivez Arvida en une phrase.
C’est un livre d’histoires pour adultes qu’il faut lire bien au chaud à l’intérieur, même si elles sont toutes à coucher dehors.

Comment les citoyens d’Arvida ont-ils réagi au livre?
Je ne m’attendais pas à ce que le livre ait autant d’écho là-bas, et aussi rapidement. Du fait, j’ai eu un peu peur de la réaction des gens quand le livre a pris son envol, parce qu’Arvida est loin d’être une brochure touristique. Mais non, les Arvidiens et les gens de la région l’ont accueilli à bras ouverts. Je pense que ça ne dérange pas les gens du Saguenay qu’on dise qu’ils ne sont pas parfaits, à condition qu’on reconnaisse qu’ils sont plus grands que nature.

Aujourd’hui, c’est surtout mon père qui vit avec ça. Arvida est en vente à la Boucherie Davis et à la Brasserie Arvida. Des gens viennent se plaindre à lui qu’ils n’apparaissent pas dans le livre. L’autre jour, il s’est fait arrêter par la police en revenant du travail. Les deux gars sont sortis de leur auto-patrouille et lui ont dit « Inquiète-toi pas, Doug. On veut juste que tu dises à ton gars que son livre est ben bon. Pis que ça fait longtemps qu’on le sait, nous autres, qu’y a pas de voleurs à Arvida. »

Vous dites que ces histoires sont toutes à moitié fausses et à moitié inventées. Comment la réalité arrive-t-elle à vous inspirer?
J’ai une imagination assez vive, mais je suis pratiquement incapable d’inventer à partir de rien. C’est en écoutant les gens se raconter et en vivant mes propres mésaventures que je me dis, de temps en temps, « Ah, tiens, de la littérature! ». C’est à ce moment-là que je me mets au travail. La réalité me sert donc d’embrayeur. Dire que mes histoires sont à moitié fausses et à moitié inventées, c’est une façon de reconnaître qu’en dépit de ce rapport très incarné aux histoires que je raconte, je sais bien qu’à l’autre bout de l’écriture, tout est fiction.

On dit souvent que l’écrivain est un témoin de son époque. Que pensez-vous de la nôtre?
Je pense qu’on vit une époque à la fois terrible et formidable. Les maîtres du monde ont trait les cités comme des vaches avant de les abandonner pour s’installer aux Bahamas, en laissant à leur place des pantins et des clowns. Je pense que, bientôt, nous aurons à décider s’il vaut mieux inventer des moyens pour les obliger à revenir ou rebâtir des villes nouvelles sans eux. En attendant, on peut aussi se chicaner avec les clowns et les pantins, ça passe le temps et plusieurs d’entre eux le méritent beaucoup.

Quel effet vous procure la reconnaissance des libraires du Québec?
C’est dur de le dire en mots, honnêtement. Au mois de juillet 2011, j’ai fini de corriger les épreuves d’Arvida, un livre que j’aimais beaucoup, que mon éditeur aimait beaucoup, que le distributeur aimait beaucoup aussi, mais que tout le monde a regardé partir chez l’imprimeur en se disant: «Dommage que ça soit un tel ovni, recueil-d’histoires/nouvelles-machin-chose. Il ne sera probablement pas beaucoup lu.» On s’est dit: «On verra». On espérait ramasser deux ou trois bonnes critiques. Contre toute attente, j’ai eu avec mon premier livre l’accueil que j’espérais, dans dix ou quinze ans, pour mon sixième. Il faut dire merci à tous les gens qui ont lu le livre et à mes fées-marraines des médias, mais ce sont d’abord et avant tous les libraires qui ont fait d’Arvida une sorte de livre-cendrillon. Alors, je sens une toute petite pression, pour l’avenir, de faire aussi bien, de faire mieux, mais surtout une grande confiance: je sais aujourd’hui que si je mène à bien mes projets de fou, il y aura des libraires assez fous pour embarquer dedans avec moi.

Comment voyez-vous « l’après-Arvida »?
Parlant d’idées de fou… Je travaille en ce moment sur mon prochain livre, Virginie, une sorte de chronique du Arvida de mon enfance, et pas de celui de mes parents ou de mes grands-parents. Ça va parler de batailles de balles de neige, d’immigration, de meurtre, de concours de hot-dogs, d’importation d’héroïne, de piranhas apprivoisés, de Guns N’ Roses et de la tâche ardue de devenir un homme. On m’a demandé aussi d’écrire pour le théâtre et j’ai supplié un autre bleuet, Michel Marc Bouchard, de me coacher un peu là-dedans. Je suis un gars chanceux, il a dit oui. J’essaye aussi ces jours-ci de convaincre une grande actrice québécoise, dont je tairai le nom mais que j’aime d’amour, de me confier ses souvenirs, parce qu’elle a eu une vie pas mal rock’n’roll et qui ferait un livre terrible et merveilleux, je pense, sur le rôle des femmes et celui du Québec dans l’histoire américaine du XXe siècle. Pour l’instant c’est ça. Et si les libraires sont assez fous encore pour me suivre dans ces trips-là, je promets qu’après, je vais essayer d’écrire un vrai roman. 

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