Rachel Martinez : La reine des cocktails

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S’entretenir avec Rachel Martinez, c’est saisir le monde infini de connaissances qui s’ouvre aux traducteurs, c’est se faire happer par leur dévouement, leur amour pour la langue et ressortir de la conversation drôlement fière de nos traducteurs made in Québec!

Après des études en linguistique à McGill puis en traduction à l’Université de Montréal, Rachel Martinez n’en démord pas : les langues, elle adore! En trente ans d’expérience, la traductrice aura cumulé bien des éloges, dont un prestigieux Prix du Gouverneur général en 2005 pour la traduction de la biographie Glenn Gould : une vie ainsi qu’une récente nomination à ce même prix pour Les maux d’Ambroise Bukowski.

Le réseau social
Si le travail de traducteur en est un qui rime avec solitude, Rachel Martinez – un vrai petit soleil au bout du fil – est loin d’être un ermite pour autant. Soulignant l’importance des réseaux d’amis, des collègues, des groupes de discussion et des différentes associations de traducteurs dont elle fait partie, elle prouve qu’elle n’est jamais tout à fait seule. Pour comprendre puis traduire le vocabulaire technique, celui relatif au pilotage d’un avion par exemple, il est toujours avisé d’avoir sous la main un ami dont c’est la spécialité! « Il faut apprendre à parler à toutes sortes de gens! Des économistes, des spécialistes d’histoire de l’art, etc. Par exemple, lorsque j’ai travaillé sur la biographie de Glenn Gould, j’ai été bien heureuse de pouvoir m’entretenir avec un accordeur de piano et un musicien! » Au fil des ans, toutes les connaissances acquises font en sorte que, « dans un cocktail, on peut parler d’un peu n’importe quoi! [rires] ».

Plus que traduire
Preuve que son métier la captive, Rachel Martinez mentionne que « le plus dur, c’est d’arrêter de travailler un texte. Des fois, on va même un peu trop loin! Comme on travaille un texte en profondeur, on trouve parfois des incohérences de faits, de scénario ». En guise d’exemple, Rachel Martinez explique que lorsqu’elle travaillait à la traduction d’un récit de voyage en Afrique, elle le faisait avec une carte du continent africain à portée de main. Puis, elle remarqua que l’itinéraire emprunté par le personnage n’était pas plausible tel qu’il était énoncé. En retournant à l’auteur – portant des gants blancs, bien sûr! – elle proposa de corriger la bévue dans la version française, ce qui fut accepté pour ce cas précis. Parfois, ce sont dans les sources citées qu’elle trouve des erreurs. Un peu zélés, les traducteurs? C’est ainsi qu’on les aime!

Mais que pense notre traductrice des traductions faites au Québec? « Elles sont impeccables! Par contre, pour les traductions faites en Europe, lorsqu’il est question de traduire des romans canadiens ou américains, je grince des dents. Peut-être est-ce parce qu’on est un petit peuple francophone dans un grand océan anglophone, mais on semble avoir davantage le souci d’être compris de tous les lecteurs, sans perdre la saveur américaine… »

L’art difficile de titrer
Un réseau diversifié, donc, mais également une culture générale étayée. À cet effet, l’exemple de la traduction des titres est éloquent : « Tout le monde déteste les traduire! On fait rarement du mot à mot, puisqu’on cherche quelque chose de punché. Souvent, celui qui a le dernier mot, c’est l’éditeur, voire le spécialiste en marketing de la maison. » Mais lorsqu’elle a proposé Dormir avec l’éléphant pour l’essai Too Close For Comfort, le tout fut accepté : « Je me souvenais d’un discours de Pierre-Elliot Trudeau adressé aux Américains où il disait : “Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant; quelque douce et placide que soit la bête, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements” ». Pile-poil en lien avec le sujet délicat – les relations frontalières entre Canada et États-Unis – de l’ouvrage!

Pour conclure, on s’offre le luxe de demander quel serait le prochain livre que souhaiterait traduire madame Martinez : « J’adorerais traduire Practical Jean, de Trevor Cole. C’est cruel, mais c’est si bon! C’est l’histoire d’une mère au foyer qui décide d’abréger les souffrances de ses proches, comme sa mère cancéreuse, en les tuant ». Alors, éditeurs, vous avez une traductrice prête à se lancer!

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