Planète rebelle: Au bout du conte

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La longévité est une denrée rare et précieuse pour une maison d'édition. Et plus son mandat est spécifique, plus ses chances de survie s'amenuisent. Ainsi, l'exemple de Planète rebelle, qui se consacre à la publication d'ouvrages sur le conte et la littérature orale, en est d'autant plus édifiant. Il y a un peu plus de dix ans, sous l'impulsion de son fondateur André Lemelin, le premier ouvrage était lancé. Aujourd'hui menée tambour battant par Marie-Fleurette Beaudoin, la maison continue de diffuser la bonne nouvelle, publication après publication: le conte est bon!

Le public est de plus en plus nombreux aux rendez-vous lancés par les conteurs. Et si le succès fracassant de Fred Pellerin forme la proue de cet enthousiasme pour les beaux parleurs, le catalogue de Planète rebelle (soixante-dix titres et quarante auteurs!) révèle d’autres surdoués de l’art de raconter. Mais puisqu’une histoire exige un commencement, mettons-y les formes!

L’astre rebelle naquit…
… en 1997, quand, après s’être heurté au «non» unanime des éditeurs à qui il présentait son manuscrit, André Lemelin crée une structure éditoriale marginale pour publier ses contes et les poèmes de ses amis. Il choisit un terme pour symboliser la puissance universelle de la parole, et un autre en clin d’œil aux refus des éditeurs établis: Planète rebelle. Très actif dans le milieu culturel, Lemelin est reconnu comme un expérimentateur et un auteur de projets; on lui doit notamment la création des revues Stop et Exit, des Dimanches du conte, du festival Voix d’Amériques et du festival de contes De Bouche à Oreille.

Lorsqu’il fonde sa maison, une vague de renouveau de la littérature orale gagne le Québec depuis quelques années. Ce sont les débuts du spoken word en français, ce mouvement précurseur du slam, qui pousse sur scène poètes, conteurs et performeurs avec pour seuls accessoires leur voix et leurs mots. Après la décennie de vaches maigres que furent les années 80 et leur clinquante fascination pour l’artificiel — «une période d’éclipse pour le conte», n’hésite pas à lancer Marie-Fleurette Beaudoin —, un véritable engouement pour la littérature orale se profile au milieu des années 90. En 1993, Marc Laberge fonde l’actuel Festival interculturel du conte du Québec et demande à Mme Beaudoin, alors journaliste scientifique, de siéger au conseil d’administration du festival. «Ce qui m’a donné la piqûre, surtout, c’est de côtoyer ces conteurs du Québec et de partout dans le monde, se souvient-elle. Ce sont des gens formidables, très humains, très engagés, qui réfléchissent sur ce qu’ils font. C’est là que j’ai découvert la dimension créatrice de ces artistes; l’art du conte est une discipline artistique à part entière.» Les structures autour du conte se développent, Jean-Marc Massie et sa bande fondent le Sergent Recruteur à Montréal et y organisent des soirées dominicales qui connaissent un succès grandissant.

Des livres hybrides
L’histoire de Planète rebelle est inextricablement liée à celle du conte contemporain. Pour Marie-Fleurette Beaudoin, la piqûre est si vive qu’elle la pousse à racheter la maison d’édition en 2001. Sa formation de botaniste l’amène à structurer, classer et créer des collections. André Lemelin lui recommande de continuer la formule du livre CD, car on ne peut enfermer la parole dans l’écriture des livres. «Nous travaillons avec des artistes qui utilisent l’oralité dans le conte, le monologue, la narration ou la poésie. Ils présentent leur art en spectacle, en performance. C’est vivant et le CD permet de transmettre cette énergie, raconte-t-elle. Au départ, le disque était d’ailleurs une simple captation live, mais cela évolue. Nous collaborons depuis les débuts avec le musicien Étienne Loranger, et le travail en studio se raffine. Par exemple, en 2005, nous avons créé la collection de poésie Hôtel Central, dans laquelle nous avons voulu se faire rencontrer poètes et musiciens. On explore…»

Un problème sans fond
Cependant, la particularité du produit cause aussi certains soucis: «Le problème que nous avons en librairie, c’est la disponibilité du fonds. Lorsqu’un conteur reprend un spectacle, plusieurs années après la publication du livre, les gens veulent retrouver ce livre, et il n’est plus en rayon. On remarque que les librairies indépendantes font un réel travail de ce côté-là, en construisant des fonds de qualité et en ayant autre chose que les nouveautés, mais les grandes chaînes ne font aucun effort.»

Le Web apparaît aussi comme un moyen de diffusion intéressant. La présidente prévoit installer au cours de l’année un système de téléchargement de contes. «Grâce au site, nous pouvons faire des ventes directes et présenter notre catalogue entier, se réjouit Marie-Fleurette Beaudoin. Nous avons aussi une présence lors des spectacles.» De fait, un quart des ventes ont lieu directement au moment des événements.

Un nouveau produit a émergé à la fin de l’année passée: le livre DVD, avec Montréal démasquée, de Jean-Marc Massie. «Cela fait plusieurs années qu’on y pensait. On avait fait quelques essais, mais les conteurs ne sont pas nécessairement des comédiens, rappelle Marie-Fleurette. Jean-Marc vient du monde du spectacle et il a donc une façon différente d’appréhender la scène. On a trouvé une formule très intéressante que nous allons continuer à exploiter.»

Dix bougies
Pour souligner l’anniversaire de la maison, d’autres initiatives se sont succédé tout au long de l’année.
«J’avais envie de faire des cadeaux, rit-elle. Nous avons organisé un concours de création de contes chez les jeunes pour nous faire connaître du grand public, des écoles, comme étant aussi un éditeur jeunesse. On a eu beaucoup plus de réponses que ce à quoi on s’attendait!» Les textes et dessins gagnants seront publiés dans un recueil à l’automne 2008. Planète rebelle a également mis sur pied le spectacle Un petit tour de planète. «Je voulais offrir gratuitement aux festivals un spectacle pour enfants. On a eu un tel succès qu’on a fait salle comble à chaque fois!, s’enthousiasme-t-elle. Cette année, on reprend la formule pour une tournée d’un an dans les maisons de la jeunesse.»

Parmi les nombreux chapeaux qu’elle porte, Marie-Fleurette Beaudoin se fait parfois prospectrice: «Je me déplace pour aller entendre les jeunes conteurs que je ne connais pas, j’essaie de repérer la relève, car j’ai l’impression qu’il va y avoir un souci de côté-là, à l’avenir, s’inquiète-t-elle. Il y a de plus en plus de demande du public, mais les conteurs établis comme Renée Robitaille sont de si haut niveau que les conteurs émergents peinent à se tailler une place.»

Avis aux conteurs en herbe: il est temps de délier votre langue…

PLANÈTE REBELLE
7537, rue Saint-Denis
Montréal (Québec) H2R 2E7
514 278-7375 | planeterebelle.qc.ca

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