Pierre Chatillon : Créer la beauté

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Pierre Chatillon est né à Nicolet. De 1968 à 1996, il a enseigné à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il se consacre désormais totalement à son œuvre et joue, dans sa région, un rôle important d'animateur.

Le 14 juin 1998, à Nicolet, il créait le parc littéraire « L’arbre des mots ». De chaque côté d’un sentier qui serpente sous les pins, les visiteurs peuvent lire, sur des plaques disposées sur des lutrins en acier, des textes d’une trentaine d’écrivains qui ont fait leurs études, qui ont vécu ou qui vivent à Nicolet. Six sculptures en acier représentant, grandeur nature, des personnages littéraires, constituent la principale attraction du parc. Ces sculptures ont été exécutées par les artistes nicolétains Sébastien et Pierre Brassard. Le parc, situé près du Musée des religions, est ouvert en tout temps et l’entrée en est gratuite. Pierre Chatillon a également composé une anthologie intitulée Grands arbres ce matin, qui regroupe biographies, photographies et extraits d’œuvres de ces 30 auteurs.

Pierre Chatillon est aussi le créateur d’un superbe circuit littéraire permettant de découvrir, à travers son œuvre, la région de Nicolet et de Port-Saint-François. Tout récemment, il créait un site Internet à visiter absolument : www.pierrechatillon.com. Je suis allé rencontrer le poète chez lui, à quelques kilomètres de Nicolet, dans sa maison située dans une érablière et dont les larges fenêtres de la façade donnent sur les eaux du fleuve.

Il vient de faire paraître, aux Écrits des Forges, un recueil de poèmes intitulé Les chants. Ce recueil, comme il me le dit lui-même, vient faire contrepoids à son premier livre, écrit à l’âge de dix-sept ans, Les cris. « Autant Les cris était douloureux, tragique, révolté, autant Les chants se présente comme un grand hymne à la beauté du monde, à la vie, à l’amour. J’avais toujours rêvé d’écrire ce livre, mais, pour diverses raisons, je n’en étais pas capable. Je le vois à la fois comme le dernier livre d’un long parcours et comme le premier d’une nouvelle vie. Je l’espère, du moins. Il est très difficile de chanter quand on est jeune, à cause des monstres qui nous habitent et nous entourent. Des monstres que nous n’avons pas encore appris à apprivoiser. Et c’est une grande consolation, pour moi qui commence à vieillir, de pouvoir enfin accéder au chant. »

« Curieusement, j’ai écrit ce livre – qui est mon plus serein – à une époque où j’étais très malade. Pendant des mois, surmontant mes douleurs et mes angoisses, je prenais péniblement place à ma table de travail, pour de courtes périodes, et j’écrivais ces chants. Puis je retournais me coucher. Quel mystère que celui de la création ! Mon corps et mon esprit n’étaient que souffrances et pourtant, alors que j’étais réfugié dans un coin secret de mon être, une petite partie de moi-même, pour se défendre, parvenait à chanter. Écrire Les chants m’a, en grande partie, sauvé la vie. Quand on redoute de perdre la vie, le moindre objet : une boîte de conserve, une chaise, un brin d’herbe, s’illumine d’une beauté radieuse par le simple fait qu’il appartient au monde des vivants. J’ai souvent dit que la poésie, selon l’expression de Baudelaire, est toujours une fleur du mal. La poésie, c’est toujours le contraire du malheur. Le seul acte de disposer des mots sur une feuille dans un but esthétique est une négation de l’horreur. »

« Je n’ai qu’une ambition : laisser, après mon passage sur les eaux de la vie, un sillage de beauté. On demande parfois quel est le rôle de l’artiste dans la société. Bien sûr, il peut s’insurger, dénoncer, s’engager dans telle ou telle cause, et cela est bon. Mais bien d’autres que lui peuvent également le faire. Il n’est pas nécessaire d’être un artiste pour brandir une pancarte. Par contre, il est une chose que seul l’artiste peut faire : créer de la beauté. Et la beauté est essentielle à l’être humain pour supporter l’existence. Et seul l’artiste peut la lui procurer. Que serait notre vie sans la présence de la musique, de la peinture, de la poésie ? Que serait notre vie sans un Mozart, par exemple, dont l’œuvre est la négation même du désespoir, de l’absurde, de la laideur, de la mort ? Il ne resterait que l’horreur du quotidien. Ce que je dis est particulièrement vérifiable en cette période troublée. J’éprouve, comme tout le monde, un sentiment de révolte et de tristesse infinie devant les actes des terroristes. Et, comme tout le monde, je me sens très impuissant. Je peux rédiger un texte pour déplorer cette situation, mais tous les journalistes le font. Par contre, si je trouve en moi assez de force, assez de courage pour écrire, malgré cette situation, un poème qui chante la beauté de la vie, je vais redonner confiance en la vie, je vais permettre de croire qu’on peut encore espérer du bonheur. Renoir, sur la fin de ses jours, était perclus de rhumatismes. On attachait un pinceau à ses doigts paralysés. Et, au lieu de se lamenter sur sa maladie, il peignait de beaux enfants, de belles femmes. Quelle leçon pour chacun de nous ! Aussi son œuvre continue-t-elle de nous faire du bien. »

« On ne peut pas changer le monde mais si on parvient à embellir un peu le petit monde qui nous entoure, on a déjà remporté une grande victoire. C’est la raison pour laquelle j’ai créé mon parc littéraire. Dans un univers rempli d’horreurs, j’ai aménagé un coin de nature où les gens peuvent aller se promener, se détendre, se cultiver, lire de beaux textes et admirer de belles sculptures. C’est un lieu de beauté. Et ce lieu est ouvert à tous car la beauté, c’est pour tout le monde. Chaque fois que j’ouvre un recueil de poèmes, je recommence à croire à la beauté. J’ai donc voulu que mon parc soit comme un grand livre à ciel ouvert. »

« Il faudrait tout ignorer de mon œuvre pour croire que mon attitude trahit l’insouciance et la superficialité. Dans ma jeunesse, je n’étais que révolte et désespoir. On n’a qu’à lire Le mangeur de neige pour s’en convaincre. Aucun poète québécois n’a poussé un tel hurlement de refus de la mort. Je n’avais pas trente ans à cette époque; j’en ai soixante aujourd’hui. Je ne vois pas le monde avec les mêmes yeux. La sérénité qui se dégage de Les chants, je l’ai conquise de haute lutte. Rien n’a été facile. Et rien d’ailleurs ne m’assure que je vais pouvoir conserver cet acquis. »

« Je connais très bien les thèmes de notre littérature parmi lesquels figurent en bonne place le mal-né, le mort-vivant, l’échec, le rêve d’une impossible remise au monde. J’appartiens comme tous les Québécois à une société qui n’en finit plus d’être sur le point de naître. Or j’écris, dans Les chants : « Aujourd’hui je suis guéri/du mal de vivre de mon pays ». Et j’ajoute que je suis le fils heureux du soleil et de l’eau. D’autres, avant moi, avaient écrit sur ce sujet. Qu’on se souvienne de Gaston Miron :  » Un jour j’aurai dit oui à ma naissance  » ; de Pierre Morency :  » Que crèvent mes eaux et que je crie  » ; de Paul Chamberland :  » Chaque jour je me rapproche un peu plus de ma naissance » ».

« Est-ce que je m’illusionne en affirmant que je suis enfin né et bien né ? C’est possible, mais cela fait du bien à entendre, et je crois qu’en ces jours tragiques on a besoin plus que jamais d’entendre quelqu’un qui chante. La joie, ne l’oublions pas, est aussi communicative que la tristesse. Je n’ignore pas que l’avenir me réserve d’autres expériences pénibles. Raison de plus pour jouir pleinement de ce moment où, après tant de cris, je suis enfin parvenu à chanter. »

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