Parfum de Jasmin

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Figure attachante et incisive du panorama littéraire québécois, Claude Jasmin met en scène dans Chinoiseries un enfant «fou de son père» et un vieil homme «fou de la vie». Le roman puise son essence dans la période du rêve et de l'imagination sans bornes, celle de l'enfance. Son auteur nous convie à découvrir le Chinatown de la métropole des années 30 et à emprunter le tramway aux côtés d'un petit garçon émerveillé par la figure paternelle. Chinoiseries, c'est également un saut dans le temps sur les traces d'un vieil homme essoufflé par les maux l'accablant, désespéré jusqu'à imaginer une affiche dérisoire «Perdu: ma vie. Récompense.».

Les deux personnages de Chinoiseries sont indissociables de l’élément aquatique. L’enfant, patient, espère le retour de son père commerçant en quête de bonnes affaires dans le quartier chinois.
«Amarré au port» dans l’espoir d’attraper quelque poisson, il assiste malgré lui à des scènes violentes, parfois funestes. Cadavres et bagarres se succèdent dans cet univers où l’adulte est roi. Le vieil homme, quant à lui, se voit obligé de nager quotidiennement dans la piscine d’un hôtel pour maintenir une santé fragile. Lui aussi est pris de visions de mort. «Étant petit, je passais des journées entières dans l’eau (claire à l’époque) du grand lac des Deux-Montagnes, à Pointe-Calumet. Des noyades marquaient, masquaient parfois ce bonheur de jeunesse», raconte Claude Jasmin. L’eau transporte la vie et la mort dans l’imaginaire de l’écrivain.

Éternité d’enfance
L’univers de Chinoiseries met en scène des figures d’hommes liées par une constante tendresse. Chez l’enfant, l’admiration envers le père, propriétaire de la modeste enseigne «Épices, Thé, Café et Chinoiseries» traverse le récit. Ce même sentiment lie l’enfant à son oncle, courageux missionnaire confronté au choc de la culture chinoise et aux conflits politiques. On réalise toutefois que ce mince fil risque de se rompre avec l’adolescence: «Le principe de réalité ouvre les yeux: son père n’est pas un héros. On garde tous une vive nostalgie de ce temps d’enfance. Le récit ajoute donc un autre pan à ces merveilleux souvenirs, ceux d’un gamin forcément naïf», précise l’écrivain.

La quête d’un ailleurs tapisse les pages de l’œuvre. L’émerveillement de l’enfant, lorsque vient le temps de découvrir les aventures de tonton Ernest au royaume captivant de Chine, est un pur moment de bonheur. Pour sa part, le vieil homme regrette de ne pas avoir voyagé autant qu’il l’aurait souhaité. Sa santé vacillante le retient sur place, condamné qu’il est à ne se mouvoir que dans les eaux de la piscine, se contentant donc «de caricaturer les visiteurs d’un hôtel laurentien, venus, eux, d’horizons divers.»

Claude Jasmin n’en finira jamais avec l’enfance et, dans son roman, il y exprime son appartenance sacrée. À la suite des Romain Gary, Marcel Pagnol et Gabrielle Roy, notre éternel «tendre anarchiste» célèbre l’innocence et la fragilité de l’enfance. Il projette de se consacrer à un futur livre racontant quinze années de sa vie, de 1985 à 2000. Une autre période dorée: «Ce sera mon Art d’être grand-père, tel Victor Hugo», conclut l’homme au cœur d’enfant.

Bibliographie :
Chinoiseries, Claude Jasmin, VLB éditeur, 272 p., 25,95$

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