Nathalie Petrowski : À cause de Jim Morrison

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À cause de Jim Morrison, Nora, la nouvelle héroïne romanesque de Nathalie Petrowski, a le cœur fébrile. En juillet 1971, l’idole des jeunes vient de s’éteindre. Cet instant engendre une série d’événements qui font des 14 ans de la protagoniste une période charnière, dans un Québec en pleine mutation, qu’a d’ailleurs bien connu la journaliste et auteure. Après quinze ans sans faire paraître de roman, l’ex-adolescente du quartier montréalais Notre-Dame-de-Grâce revient à cette forme littéraire avec Un été à No Damn Good.   

On peut dire qu’elle s’en était ennuyée. Bien qu’elle écrive tous les jours, notamment ses chroniques très lues dans La Presse, de son propre aveu, le roman entre dans une classe à part. Si différent de l’écriture journalistique, bien sûr, mais aussi des scénarios qu’elle n’a jamais vraiment cessé, ceux-là, d’écrire; pensons à son dernier du film Gerry, sur la vie d’un de nos plus grands artistes de la chanson. « Le roman est beaucoup plus personnel, plus fragile aussi en quelque sorte. Il y a là une exigence de dévouement quasi total. Je savais bien que j’y reviendrais un jour… »

Il a fallu qu’on lui annonce qu’elle venait d’obtenir une résidence d’écriture de sept semaines dans un petit studio à Banff en Alberta pour qu’elle plonge à nouveau, il y a tout près d’un an, dans le délire de l’écriture romanesque; avec tout ce que ça comporte d’isolement, de discipline, de doutes, d’abandon, de silence aussi. Sept semaines loin de La Presse et de son monde, dans la nature Made in Canada, à inventer l’été d’une Nora qui ressemble pas mal à l’ado qu’elle était, à imaginer l’été de tous les possibles, des changements et découvertes dans la vie d’une jeune originaire de la France qui débarque d’Ottawa en 1971 pour s’installer avec des parents excentriques et peu banals sur la rue Marcil dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, que certains appelaient alors No Damn Good.

La liberté de l’écrivain
Si le journalisme est une profession qui demande à ceux qui l’exercent de s’en tenir rigoureusement aux faits, le roman, lui, permet une totale liberté, d’abord déstabilisante pour la journaliste, puis réjouissante: « Au début, je voulais faire une autofiction, mais, en faisant des recherches, je me rendais compte que les résultats, parfois, ne correspondaient pas à mes souvenirs. Je me suis dit qu’il me fallait lâcher la réalité, que c’est souvent plus beau comme on se la rappelle. » Le terrain de jeu de l’écrivain est plus vaste que celui du journaliste.

La mort tragique du chanteur des Doors, certes, mais aussi la crise d’Octobre, le nationalisme, les luttes féministes et autres événements marquants des années 70 qui sont réellement survenus ont aussi servi de toile de fond à ce remarquable portrait d’époque qui a pour témoin une narratrice à la fois candide et entêtée.

Une narratrice à laquelle on ne peut que s’attacher dès les premières pages lorsqu’elle décrit sa famille peu présente et sur le point d’exploser à tel point ça chauffe : un père un peu blasé œuvrant à l’ONF, un frère parti pour l’été dans un camp de vacances près de Granby et une mère qui ne donne pas une histoire drabe en journaliste qui rêve de s’affranchir (et de faire ses valises), qui rêve aussi d’un avenir glorieux pour sa fille : « Pour mon éducation sociale, culturelle et intellectuelle, ma mère était la championne. C’était à cause d’elle que j’avais lu Sur la route de Jack Kerouac, que je m’aspergeais de patchouli, que je fredonnais Season of the Witch de Donovan et White Rabbit de Jefferson Airplane. À cause d’elle que j’avais fait la promesse formelle que lorsque je serais grande je ne serais pas mère, ménagère, cuisinière ou fleuriste. »

L’amour, bien sûr
Cet été 1971 à No Damn Good ne serait pas non plus ce qu’il est sans les inséparables sœurs Élise et Marie-T. Chevrier, rencontrées dès l’arrivée de Nora dans son nouveau quartier et « qui n’avaient pas l’air plates parce qu’elles portaient des shorts et des sandales à la mode ». Quant à leur grand frère Jeannot, il remplacera aisément le dieu Jim Morrison dans le cœur de l’héroïne et fait que ce roman en est aussi un sur les premiers élans du cœur, ceux qui agrémentent la saison estivale en faisant de chaque microrapprochement avec l’élu d’immenses victoires capables de chasser tous les spleens.

« L’adolescence peut aussi être une période dans laquelle on commence à prendre un peu plus conscience de la fragilité de la vie, de celle des autres surtout à travers la mort, celle de nos idoles, mais celle d’êtres chers aussi. Et puis, il y a ces deuils qu’il faut faire », explique l’auteure. Parmi ceux-ci, notons le deuil de l’enfance, qui s’égrène au fil des jours dans ce troisième roman de Nathalie Petrowski, mais aussi celui des parents qu’on voudrait parfaits, d’une famille nucléaire soudée, d’un amoureux, d’amitiés et d’un été qui tire à sa fin, peut-être le dernier, où tout est encore possible parce qu’il y a toujours une petite voix en nous pour murmurer qu’en septembre déjà, on sera un peu plus vieux et moins naïfs.  

Pour respecter le souhait de la romancière, j’inscris ici la dédicace qui aurait dû apparaître dans ce roman et qui lui est chère, pour l’inspiration de cette histoire, bien certainement : « À Gisèle et à Sylvie, qui se reconnaîtront ou pas. »

Photo : © Ivanoh Demers, La Presse 

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