Nathalie Loignon : La mémoire et la mère

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De son propre aveu, Nathalie Loignon ne se destinait pas à une carrière littéraire. Pourtant, son premier roman pour la jeunesse, Christophe au grand cœur, paru en 2000 chez Dominique et compagnie, lui a valu les prix Henriette-Major et Alvine-Bélisle en plus de se classer parmi les finalistes pour les M. Christie, Cécile-Gagnon et Hackmatack. Cet automne, dans la collection pour adultes de La courte échelle, elle publie La Corde à danser, un roman poétique, onirique et surtout très dense, axé sur la mémoire d'une jeune fille et nourri par une réflexion sur l'identité féminine.

Avez-vous l’impression que quelque chose change dans votre pratique d’écriture selon le lectorat auquel vous vous adressez ?
L’état d’esprit, sans doute. On n’est pas dans les mêmes dispositions. Pour ce livre, j’ai eu recours à la mémoire, autant personnelle que collective. Sur le plan de l’écriture, je crois être demeurée dans un registre du « senti », comme dans mes romans jeunesse, mais j’ai adopté un regard sur l’écriture elle-même, un regard de femme. Et puis, j’ai tenu davantage compte de mes influences et de la lecture qu’on pouvait faire du livre.

Le héros-enfant est une figure récurrente en littérature québécoise : avez-vous une idée de ce qui pourrait expliquer ce phénomène ?
J’aurais de la difficulté à dire pourquoi l’enfant est si présent dans notre littérature. Je ne peux parler qu’en mon nom et je vous dirai que je n’ai pas eu le choix. Quand j’étais fillette, j’avais tellement de questions, d’histoires, de curiosité en moi que tout ça m’a naturellement menée à l’écriture. Dans La Corde à danser, l’écriture fonctionne comme la mémoire. Le texte prend la forme d’une recherche de réponses à des questions qui n’en avaient jamais eu.

À lire le tableau que vous brossez de leur univers, pétri d’onirisme, de candeur, mais aussi de méchanceté nonchalante, on devine que vous n’êtes pas de ceux et celles qui croient à l’angélisme des enfants…
La cruauté des enfants est inconsciente, le plus souvent. Ces derniers ne connaissent pas la nuance, ou si peu ; ils sont souvent obnubilés par les émotions brutes. Cette histoire n’est pas la mienne, mais elle se nourrit des souvenirs que je garde de l’enfance. L’une de mes difficultés pour ce livre a été de traduire cette dimension si particulière, de travailler l’écriture dans ce sens.

Faut-il voir l’enfance comme le lieu de tous les déchirements ?
Non, je ne crois pas. Pas de tous les déchirements, quoique sûrement des plus grands déchirements. Mais mon livre est peut-être moins noir qu’il le paraît. C’est vrai que l’enfance est parfois dure, ponctuée de cruautés, mais La Corde à danser est un roman d’apprentissage, de cheminement vers une certaine lumière.

Quelle signification symbolique faut-il donner à cet objet, la corde à danser, qui donne son titre au roman ?
Oh, il y en a plusieurs : on peut l’associer à la corde de la pendaison, à la grand route qu’on regarde de loin et qu’on voudrait suivre sans jamais oser. Mais d’abord, c’est un instrument de jeu pour les fillettes, un instrument pour parfaire son corps. Et puis, j’avais en tête l’idée de la danse, le mouvement de la balançoire, le vent, et toutes sortes d’images du même ordre.

Comment s’est imposée la structure de votre roman, cette construction en trois parties distinctes mais toutes articulées autour de fréquents retours en arrière ?Ç’a été un long processus. J’ai conçu mon roman comme une suite de très courtes nouvelles, de une à trois pages, des nouvelles-instants. Quand l’instant était terminé, ma plume s’arrêtait. Ensuite, le gros du travail a été d’unifier ces fragments, une entreprise de construction-déconstruction assez exigeant mais fascinant, croyez-moi. À force de brasser ces fragments, les couleurs distinctes des trois parties ont émergé, ce qui a facilité le regroupement des fragments apparentés.

Croyez-vous que ce roman prolonge, approfondit les thématiques abordées dans vos oeuvres pour la jeunesse ?
Non, je le vois comme complètement indépendant de mes livres pour les jeunes. Il y a certains thèmes qui reviennent, bien sûr, comme la mort. Mais l’écriture est totalement différente, de même que l’investissement émotif. C’est vrai que je publierai aussi cet automne un roman-jeunesse intitulé Chagrine, dont l’héroïne, une fille prénommée Sabrine, a une tante dépressive. Et c’est vrai que l’écriture des deux romans s’est faite un peu en parallèle. Mais La Corde à danser se distingue à cause de mon retour à mes origines, le questionnement que je me suis imposé sur le monde féminin, mes réflexions sur le couple aussi.

Avez-vous l’impression que ce livre modifiera votre manière d’aborder la littérature jeunesse dans des œuvres à venir ?
Je ne crois pas. Ce sont vraiment des démarches indépendantes. J’ai écrit mon premier roman, Christophe au grand cœur, sans la moindre ambition de publier. Et sans la crainte de la lecture qu’en feraient les gens. Depuis, il a toujours fallu me défaire de cette peur du lecteur. En tout cas, l’écriture de La Corde à danser m’a fait prendre conscience de la nécessité d’exprimer une vision particulière et aussi de laisser mûrir les thèmes en soi

Bibliographie :
La Corde à danser, La courte échelle
Christophe au grand cœur, Dominique et compagnie, coll. Roman bleu
Chagrine, Dominique et compagnie, coll. Roman bleu

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