Mikella Nicol : L’été comme une étreinte

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Il y a Clara, la fille de la forêt, la femme de l’amour déchu, épuisée de chagrin et de haine. Et il y a Chloé, la fille de la clairière, ce petit animal farouche aux grands yeux enflammés qui effraient les autres et dont elle tente d’éteindre toute lueur. Dans Les filles bleues de l’été, Mikella Nicol joue avec la puissante force et la subtile beauté d’une amitié reliant deux êtres qui ont un pied dans la vingtaine et l’autre dans le bleu de l’été.

Publié dans la toute nouvelle maison d’édition Le Cheval d’août, pilotée par Geneviève Thibault, ancienne éditrice de La Mèche, ce roman s’accorde clairement à la ligne directrice de la jeune écurie, qui s’attèle à trois critères principaux : des littératures émergentes, des primes romanciers et des voix fortes. Les filles bleues de l’été, c’est deux filles qui n’en peuvent plus de leur vie, de cette ville où personne ne les comprend, où le poids de la tristesse pèse de plus en plus lourd. Ainsi, elles retournent, le temps de leur reconstruction, le temps de reprendre leur souffle, dans ce chalet où, petites, elles ont passé tant d’étés. C’est à ce moment qu’on débarque dans leur vie, qu’on pénètre dans leur amitié. Parce que si Clara et Chloé se sentent étrangères face aux autres – « À jamais, nous aurons été les étrangères. Celles dont on n’a pas su lire le regard » -, elles sont néanmoins en totale fusion l’une avec l’autre. Toutes deux blessées, elles se tiennent les coudes : « Ensemble, elles se sont créé un monde qui ne correspond pas à la vraie vie. Et c’est là qu’elles se sont nui, même si sur le coup, ce monde alternatif semblait salvateur. Les deux filles ont joué tous les rôles l’une pour l’autre : celui de la mère, celui des amis, elles se sont réconfortées comme des amantes le feraient. Il y a quelque chose de très beau dans leur lien sororal, absolu, et c’est ce que j’ai voulu saisir : ces amitiés démesurées de l’adolescence, qui deviennent presque malsaines dans l’âge adulte », explique Mikella Nicol.

Ce roman, que l’éditrice compare aux univers d’Anne Hébert et de Sofia Coppola, porte deux voix, en alternance, qui se répondent et se complètent à la fois : « J’aimais l’idée d’une amitié fusionnelle, qui permet de parler pour l’autre, précise l’auteure. Les deux filles s’épient sans se juger. Elles se réfléchissent, se complètent : la blonde, la brune; l’extravertie, l’introvertie; celle qui est blessée par les autres et celle qui se blesse elle-même. J’aimais l’intensité de la relation que ça créait, que Clara se retrouve dans la tête de Chloé, et vice versa. Qu’on en vienne à les confondre. La narration permet de faire ces jeux de renvois. Elles sont presque sœurs, finalement, même qu’à certains moments, on pourrait penser qu’il s’agit d’une seule et même personne ».

À l’écoute du sensible
C’est dans une écriture qui en appelle aux sens que Mikella Nicol nous transporte dans cet ermitage que ses protagonistes souhaitent rédempteur : on ressent avec ses personnages le vent chaud de l’été qui réchauffe les corps nus, le goût fort de l’alcool absorbé, les odeurs des brindilles et de la forêt humides, la légèreté des draps, l’âcreté de la cigarette qui calme, la délassante fraîcheur du lac sur la peau… En lisant le manuscrit, l’éditrice dit avoir été happée par l’écriture, « qui tient à la fois de la retenue et de l’aveu », et par les images créées par l’auteure, qui sont « obsédantes et qui expriment le drame du désir. »

Roman dense s’il en est, en raison de sa teneur émotive, Les filles bleues de l’été semble s’être imposé de lui-même à son auteure : « Ce roman-là est sorti de moi très vite », avoue celle pour qui l’écriture ne s’insère pas dans la vie, mais passe au premier plan lorsqu’il le faut. « Je n’ai pas réfléchi à ce que j’allais faire, ni comment. C’est une fois le récit entamé que je me suis mise à y réfléchir. Il m’a fallu penser à ce que j’étais en train d’écrire, qu’est-ce qui se passait, qu’est-ce que ce texte était pour moi, qu’est-ce que j’avais envie qu’il devienne. J’ai réalisé que cette histoire me parlait et me touchait beaucoup et que j’avais un rapport différent avec lui qu’avec tout ce que j’avais écrit auparavant. »

Baignée de littérature
Mais si Mikella Nicol en est à son premier roman, à 22 ans, elle n’est pas pour autant nouvelle dans le milieu littéraire. Libraire depuis quelques années dans une librairie indépendante de Montréal et étudiante en littérature française, elle peut également se targuer d’être la fille de l’auteur et professeur de lettres Patrick Nicol : « L’importance de la présence de mon père dans mon cheminement, si je peux dire, c’est que j’ai toujours su que c’était correct de faire de la littérature. Que la littérature existe encore dans notre société et qu’elle est importante, nécessaire, et que c’est possible d’écrire. Ceci dit, on n’écrit pas de la même façon ni sur les mêmes sujets. Moi, j’aime écrire sur les femmes, sur la difficulté de trouver sa place comme femme, sur la jeunesse et sur les émotions très fortes qui la caractérisent. J’aime bien croire qu’on fait chacun nos petites affaires. »

Grande lectrice, ses choix sont éclectiques, mais possèdent tous une sensibilité fine – aucune surprise de ce côté – pour le sujet de la femme : « Cette année, j’ai été renversée par la poésie de Pierre Reverdy, d’Anne Hébert et de Geneviève Desrosiers. Par les romans de Suzanne Jacob, de Sylvia Plath et de Violette Leduc. Par les essais féministes d’Annie Leclerc et de Betty Friedan. » Et, à la candeur de son texte, on ne s’étonne pas d’apprendre que Mikella Nicol entretient une fascination pour deux inconditionnels, Virginia Woolf et J.D. Salinger, « qui réussissent, chacun dans son style très différent, à cerner les infinies nuances des relations humaines ». D’ailleurs, c’est une citation de la grande Woolf, prise dans Les vagues, qui ouvre le roman et en donne le ton :

« Je vais prendre mon chagrin et l’étaler parmi les racines des hêtres. Je vais l’examiner de près, et le prendre entre mes doigts. Ils ne me trouveront pas. Je mangerai des noix, et je chercherai des œufs sous les ronces, et mes cheveux s’emmêleront, et je dormirai sous les haies, buvant l’eau des mares, et je mourrai là. »

Amitié. Chagrin. Nature.

 

Photo : © Marie-Claude Lapointe

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