Michèle Plomer: De Hong Kong à Magog

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Alors que le 18 février paraît Porcelaine, le premier tome de sa trilogie nommée «Dragonville», Michèle Plomer s'apprête à faire la tournée des régions françaises avec son précédent roman, HKPQ, lauréat du prix France-Québec 2010. Si l'on retrouve la Chine, les animaux fabuleux et l'amour dans Porcelaine, il est également question d'une Québécoise contemporaine, de retour d'exil en Chine, ainsi que d'une femme-dragon et d'un homme à la beauté impériale dans le Hong Kong de 1910.

Après HKPQ, un roman d’aventures et d’amour improbable entre une jeune fille et un poisson, Porcelaine poursuit dans la lignée de romans inspirés par la Chine, où l’enquête policière croise la fable merveilleuse. Michèle Plomer, venue des Cantons de l’Est pour un entretien avec le libraire à Montréal, avoue avoir voulu explorer de nouvelles avenues avec ce roman. L’action de Porcelaine se divise cette fois entre le Québec actuel et l’Orient du début du siècle dernier, grâce à une construction en parallèle: «Il faut croire que ce n’est pas encore exorcisé, cette Chine, chez moi, mais il y avait avec ce roman une volonté de ramener la Chine dans un univers québécois. Je voulais rendre une Hong Kong contemporaine avec HKPQ. Là, j’avais le goût de me laisser aller avec des dragons et des hommes avec des nattes dans le dos.»

Porcelaine puise en effet dans la mythologie chinoise traditionnelle, pour ce qui concerne, du moins, la partie de 1910. Lung est une femme immortelle qui emprunte la forme d’un dragon et enlève Li le beau, un homme qui ensorcelle les femmes par sa beauté et veille sa mère opiomane et prostituée, qui sera mêlée au meurtre d’un marin sur lequel enquêteront deux détectives anglais. De cette Hong Kong peuplée de créatures surnaturelles et minée par le commerce de l’opium, on fait le saut dans les Cantons de l’Est en 2010, lorsque Sylvie Matthews débarque à Magog, sa ville natale, après un séjour en Chine, et décide d’ouvrir une boutique d’antiquités chinoises.

De Bruce Lee et de la beauté des hommes
Née d’une mère acadienne et d’un père britannique, Michèle Plomer dit être bon public pour croire aux légendes de dragons: «J’ai une grande facilité à accepter ces créatures surnaturelles, peut-être parce que je suis d’origine anglaise. J’ai été élevée avec les fées, les pixies et les gnomes dans le jardin. Je n’ai pas lu les mythes orientaux pour écrire ce roman, mais je peux dire de façon candide que quand j’avais une panne de merveilleux, j’allais sur YouTube pour regarder des clips de Bruce Lee. Il est mon modèle, mon amour de jeunesse, une icône de beauté.»

La romancière a toujours eu un faible pour les films de kung-fu où il est normal que les gens volent ou avalent un sabre, mais Bruce Lee l’a aussi inspirée pour célébrer l’homme asiatique, trop longtemps méprisé par les Occidentaux: «Décrire un homme beau a été le plus difficile. J’ai passé des semaines à réécrire la description de Li. Je voulais rendre hommage à la beauté des hommes asiatiques, qui ont toujours été les vilains dans notre mythologie. Dans les films de Hollywood, l’homme asiatique séduisant est toujours méchant, comme une incarnation du mal, du diable, d’une tentation étrangère à nous. Je voulais faire avec le personnage de Li un véritable empereur.»

Sylvie, cette Québécois de retour de Chine, entretient aussi un culte pour la beauté et sa boutique d’antiquités chinoises lui fait faire des découvertes étonnantes, notamment des écritures chinoises dissimulées derrière le mur de plâtre du local qu’elle vient d’acheter. Cette trouvaille lance l’héroïne sur la trace des anciens propriétaires de ce qui s’avère avoir été une blanchisserie tenue par des Chinois. «Dragonville part d’une anecdote. Au Salon du livre de Sherbrooke en 2009, j’ai trouvé un petit livre de photos sur l’histoire de Magog avec un article de journal annonçant la fermeture de la buanderie C. Lee Brothers. J’en ai parlé à plusieurs aînés, mais personne n’avait souvenir de ces Chinois de Magog. De là m’est venue l’idée d’imaginer qui pouvait être Lee et d’installer quelqu’un dans l’ancienne buanderie en 2010.»

Devenir libre
La rencontre entre l’Orient et l’Occident se trouve donc au centre de ce roman où s’entrechoquent les cultures et les époques, mais où se tisse également un fil invisible entre les mondes. Porcelaine raconte le retour d’exil de Sylvie, qui débarque au Québec après avoir distillé sa vie aux bras d’un amant chinois et perdu sa mère, atteinte d’Alzheimer: «C’est l’histoire d’une réappropriation. Quand on a été ailleurs longtemps, on revient peut-être mieux placé pour voir l’horrible ou le merveilleux. Sylvie revient sans attache et découvre un Québec qui a changé.» Michèle Plomer a elle-même vécu ce retour d’exil, après avoir séjourné sur cet Empire du Milieu qui la fascine encore: «La Chine est arrivée dans un moment où j’en avais vraiment besoin. D’où mon intérêt pour ces témoignages de femmes qui reviennent fortifiées par l’exil et par la liberté qu’on a quand on est ailleurs. On devient libre. Toutes nos constructions, nos édifices peuvent tomber.»

Porcelaine parle de déracinement, de retour au pays, mais l’auteure rend également un vibrant hommage à la culture raffinée de la Chine et à son goût marqué pour le commerce. Le titre fait d’ailleurs référence à cette matière fragile qui a aussi été au centre d’un commerce mondial. «C’est assez extraordinaire de penser qu’on a meublé tous les garde-manger de l’Occident avec des assiettes chinoises de porcelaine à une époque et qu’elles ne se cassaient pas durant le voyage. Je voulais rendre compte de la gloire marchande de Hong Kong, qui n’a rien d’ignoble pour les Chinois», explique l’auteure estrienne.

À tous ceux qui mordront à ce joli roman d’aventures plein de délicatesse et de sensualité orientale, il faudra soutenir l’attente des prochains tomes pour connaître le dénouement des multiples mystères sur lesquels Porcelaine se referme. De quoi rêver et partir en voyage sur le dos d’un dragon…

Bibliographie :
PORCELAINE. DRAGONVILLE (T. 1), Michèle Plomer, Marchand de feuilles, 320 p. | 24,95$

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