Rien dans le ciel. Ce titre du nouveau recueil de nouvelles de l’écrivain Michael Delisle rappelle en effet, à qui veut bien l’entendre, que le soulagement qui vient à la rescousse de nos blessures et un lot de réponses se trouvent en dehors des cieux. Phrases d’une lucidité imparables, images frappantes et altérité rassurante sont autant de phares dans ces textes pour continuer d’avancer dans la nuit noire et par beau temps aussi, voire pour accueillir quelque chose comme l’espoir.

Ce qu’il coïncide bien avec l’époque. Rien dans le ciel n’aurait pas pu tomber à un meilleur moment; entre deuxième vague pandémique, surdose de confinement, vague à l’âme persistant chez chacun d’entre nous. Et universellement. L’ambiance n’est plus à la fête depuis longtemps et ce retour de Michael Delisle après son épatant Palais de la fatigue, devenu finaliste au Prix des libraires en 2018, survient comme un repère à l’heure des bilans et des remises en question, qu’elles soient triviales ou existentielles.

Michael Delisle n’a rien d’un roi du marketing obsédé par l’idée de profiter de l’air du temps pour faire paraître ce quinzième livre en quarante-deux ans de carrière. « Je n’écris jamais en fonction de l’actualité parce que mon processus d’écriture est trop lent pour ça. C’est une coïncidence. Je suis rendu là, simplement », déclare l’écrivain de 61 ans.

Rien ne va plus
Quand rien ne va plus — que ce soit chez cet homme sur le point de sauter du balcon de sa tour d’habitation de dix-sept étages, chez ce nouveau retraité qui s’apprête à découvrir la vérité dans une sapèque usée, chez ce nouveau divorcé à qui le ciel envoie un ami, chez ce chauffeur de star désillusionné, chez ce neveu incrédule, chez cet ancien orphelin hanté par une discussion ou chez cet homme à qui l’on vient d’annoncer la fin imminente —, l’éveil surgit et apporte un souffle nouveau alors que l’air venait à manquer.

Tous les héros de ces sept nouvelles sont donc au seuil d’une lucidité. Leur vie est sur le point de basculer alors qu’ils couraient à leur perte. Puis, juste avant l’effondrement, lorsqu’il ne reste plus qu’à espérer une intervention divine ou un signe du ciel, il y a tous les autres, ces humains venus d’on ne sait où, morts ou vifs, qui portent avec eux quelque chose comme toute la foi du monde.

« Ce n’est pas dans le ciel que ça se passe. Ça fait partie de notre culture, mais ce n’est pas que le catholicisme qui en est responsable; ça peut être des outils pour chercher un peu de paix intérieure, mais ça ne suffit pas. Si Dieu existe, il passe par quelqu’un qui est là, sur notre route, en chair et en os. Ça, pour moi, ça a plus de sens qu’une présence divine ou matérielle. C’est par le prochain que ça se passe, et non, désolé, ce n’est pas avec le ciel. »

« Une sorte de communion a eu lieu. Nous nous sommes levés exactement en même temps, et la coïncidence ne nous a pas surpris. Nous étions à l’unisson et c’était normal, comme une chose qui est là depuis toujours. Nous avons rejoint nos vélos et nous sommes entrés dans la forêt pour retourner au village, en parlant des arbres, en nommant les plantes du sous-bois. Je n’avais rien demandé, et le ciel m’avait envoyé un ami. » Cet ami dont il est question dans cet extrait de l’épatante nouvelle « Notre-Dame de la Vie intérieure » s’appelle Jean-Vincent. Il débarque dans la vie du nouveau divorcé en proie aux grands chagrins et aux impressions de fin du monde liés à son divorce. Puis, rien ne sera plus pareil. Intervention masculine plus que divine, tout le portrait change de perspective.

Quant aux apparitions humaines, elles n’ont rien de mystique dans Rien dans le ciel. Elles arrivent simplement, brassent les cartes du destin; fragments d’étoiles dans un ciel moins inaccessible que les idées préconçues dont témoigne depuis toujours l’histoire des religions et des croyances, sorte de réverbère pour rappeler que « Je ne monte pas au ciel, c’est le ciel qui descend sur moi, m’inonde de lumière et me sature de sens. L’élévation est réellement une métaphore », écrit l’auteur.

Que ces morts symboliques surviennent dans ce présent recueil chez des hommes qui ont dépassé la mi-quarantaine lève le voile sur l’intériorité de ceux qui sont prisonniers de cette démone cruelle qu’est la tête, avec ses idées aliénantes, ses pensées obsédantes, ses peurs incontrôlables, soumis aussi au temps qui passe, aux affres du vieillissement. « Devenir un monstre est-il le prix à payer pour rester en vie aussi longtemps? Cette dépression, que je n’arrive pas à mater, gangrène mon âme. Je le sais. Un jour, mon corps n’aura plus la force de la museler. Elle se mettra à fuir de partout », déclare, au cœur de la tourmente, le protagoniste de 48 ans dans la nouvelle intitulée « Chauffeur un été », au sein de laquelle il doit conduire l’acteur argentin Hernan Grassi, un has-been qui a fait la une des téléhoraires dans les années 70.

En terrains minés
Ces hommes imaginés par l’écrivain sont champs de bataille, plus que les femmes, dont la quasi-absence n’est pas insultante ou péjorative pour autant. « Je me suis rendu compte qu’elles étaient peu présentes après coup… confie-t-il. Je montre inconsciemment comment leurs problèmes, qui sont entre leurs deux oreilles, sont liés au fait qu’il s’agisse de gars. On sait que tout ce que ça prendrait dans chacune de ces nouvelles, c’est une femme qui arriverait et qui dirait : calmez-vous les nerfs! Ces gars manquent de femmes en termes d’énergie. L’absence de celles-ci conditionne un peu le drame des personnages. »

Dans la vie de celui qui est aussi romancier et poète, ces préoccupations qui émanent de ces textes n’apparaissent pas de manière anodine puisqu’il vient tout juste de prendre sa retraite de l’enseignement après trente années à transmettre sa passion pour la littérature au Cégep du Vieux Montréal. « Je suis conscient que je suis d’une autre époque, que les questions que je me pose, je n’imagine pas que des jeunes de 20 ans pourraient déjà se les poser… »

C’est donc au début d’une vie nouvelle qu’il donne enfin à lire cet opus, écrit à l’été et à l’hiver, lors de ses pauses annuelles de l’enseignement. Désormais, il aura plus de temps pour s’adonner à ses histoires et à sa poésie. Les seconds débuts comme les nouveaux départs sont vertigineux pour celui qui tire sa révérence dans un bien étrange moment historique. De quoi noircir de nombreuses pages blanches. La vie lui appartient désormais. Tout entière.

Photo : © Julien Faugère

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