Mélanie Michaud le dit d’entrée de jeu : « Mon enfance est un souvenir laid ». On pourrait dès lors l’imaginer en Aurore, l’enfant martyre, ou encore en Donalda, des Pays d’en haut. Que nenni! En tous cas, pas à l’écrit.

Mélanie Michaud a amorcé Burgundy, son premier livre, comme une autofiction. Mais, à l’arrivée, il en résulte un roman inspiré de son enfance : « J’ai décidé de mettre la romancière au travail afin qu’elle ajoute des couleurs, de l’humour et le regard de moi, aujourd’hui, sur moi, hier. » Ce premier livre, donc, est plutôt un bijou où s’enfilent — sans concession, et avec un charme unique — des perles de drôlerie et de brutalité, de tendresse et de haine.

Le lecteur pourrait s’y sentir écartelé. Il y sera en fait secoué, bousculé parfois, mais aussi (et surtout) interpellé. Parce que Mélanie Michaud a trouvé le ton; son ton. Il est ici percutant, là enveloppant. Ailleurs, il serre à la gorge et pique les yeux. Plus loin, il provoque un rire, franc ou de malaise; ou alors il prend par surprise grâce à un tranchant impayable et une autodérision acidulée.

Cette dualité semble faire partie de la jeune femme.

Ainsi, la voilà qui arrive à l’entrevue, flamboyante de chevelure, mais pâle de rousseur; fine comme une elfe, mais transportant une valise en plastique qui semble peser autant qu’elle (ce qui est presque le cas : elle travaille sur les plateaux de télé et de cinéma, et transporte donc lentilles, objectifs et divers appareils).

Quand elle s’assoit, c’est avec le dos droit, prête à recevoir les questions, même s’il y a les doutes. Le premier livre. La première entrevue. Et, bien sûr, elle s’en tire haut la main. Le ton de Burgundy, s’en rend-on compte rapidement, ne se cantonne pas aux mots qu’elle dépose sur la page.

Mélanie Michaud affiche les forces et les doutes de ceux qui ont grandi dans l’adversité : « Il y a ce monde d’où je viens, avec sa pauvreté, sa dureté, dit-elle. Il y a celui, plus intellectuel, dans lequel je vis aujourd’hui. Et, aujourd’hui, je me rends compte que cet “entre deux chaises” est ma place. J’y suis bien. » Plus que seulement faire la paix avec le passé, elle assume pleinement d’où elle vient.

Ceci n’est pas une enfance rose
Le contenu de Burgundy, on l’aura compris, n’a rien à voir avec le rose de sa couverture.

On est au milieu des années 80, dans le quartier de la Petite-Bourgogne, à Montréal, que les gens du cru appellent à l’époque « Burgundy ». Que la petite Mélanie — oui, comme dans « Mélanie Michaud » —, effrontée et frondeuse, décrit comme « un quartier qui sent la marde et où la marde est toujours pognée ».

Le père de la fillette va de petit boulot en petit boulot, jusqu’à ce qu’il trouve une forme de stabilité… auprès des Hells Angels. Sa mère, elle, reste à la maison, même si elle a atteint « le plus haut niveau d’études de tout l’arbre généalogique […] avec son trois quarts de sixième année. Elle était la seule à savoir lire et écrire ».

Pauvreté sociale, pauvreté économique, pauvreté intellectuelle. Violence entre les murs de la maison, à l’école, dans les rues. Sexisme et misogynie systémiques contre lesquels, déjà, Mélanie se rebelle : « Pourquoi JE dois faire la vaisselle? » « Parce que t’es une fille! » « Crisse! Ç’a pas rapport, je lave pas la vaisselle avec mon vagin! »

Encore une fois, le mordant et l’humour pour désamorcer l’« indésamorçable ».

Ce qui n’enlève pas la dureté du propos et de la situation. Pourquoi, alors, avoir voulu leur consacrer six années — puisque c’est le temps qu’il aura fallu à Mélanie Michaud pour mener à terme ce projet, choisi parmi les centaines qu’elle avait en tête? « C’est celui qui, petit à petit, a pris le plus de place. Il s’est imposé ; je n’ai pas eu le choix que de le continuer », explique-t-elle. Jusqu’à y mettre un point final.

La lettrine d’ouverture, elle, a été posée au temps d’un bonheur immense et d’un épuisement au moins aussi grand.

L’enfance en (non-) héritage
Mélanie Michaud venait d’accoucher. Elle allaitait son enfant. Elle n’avait pas besoin de se poser la question, la question s’imposait d’elle-même : comment élèverait-elle son fils, elle qui ne pouvait utiliser son enfance et ses parents comme modèles? Les souvenirs remontaient à la surface. Les anecdotes. Les peines. La faim. Les coups reçus ou donnés. Le déménagement salvateur sur la Rive-Sud, où la peur changea de clan : de celle qui avait peur, elle est devenue celle qui faisait peur.

Et ces souvenirs étaient si vivides, mais aussi tellement fugitifs que, pour ne pas en perdre l’essence et le sens, elle les écrivait immédiatement. « Comme toute bonne mère moderne, j’allaitais… avec mon téléphone à la main », dit Mélanie Michaud en rigolant. Et, un jour, elle s’est aperçue qu’il y avait tellement, mais tellement de notes dans son cellulaire, « du triste comme du drôle », qu’il y avait matière à faire quelque chose avec : « Je me suis mise à m’amuser avec ça. »

Le tout sans trop y croire : il y a deux ou trois ans, une maison d’édition avait fait part à la jeune femme de son intérêt pour le manuscrit que celle-ci lui avait fait parvenir. « Je n’ai même pas répondu au courriel, raconte Mélanie. Je n’y croyais pas. La confiance n’était pas là. » La confiance en elle, s’entend. Cette confiance qui se bâtit dans la sécurité d’un foyer… quand sécurité d’un foyer on a. Ça n’avait pas été son cas. Mais ce complexe se soigne et, du haut de ses cinq pieds trois pouces, Mélanie Michaud a grandi.

Assez pour lancer Burgundy. Assez pour le lancer sans l’avoir fait lire à ses parents. Sa mère, de qui elle se dit « de plus en plus proche ». Son père, à qui Mélanie, l’autrice, avant de poser le fameux point final, fait dire à Mélanie, le personnage : « Je t’aime, p’pa. »

Leur réaction l’inquiète. Bien sûr. Mais, en même temps, il y a ce sentiment d’irréalité. Au moment de l’entrevue, alors qu’on ne parlait pas de pandémie ni de confinement, elle n’avait pas encore le livre, le vrai, imprimé et relié, entre les mains. Par contre, elle avait choisi la date du lancement : le 1er avril. « Comme une joke. Je refuse le sérieux de la patente. » Dommage qu’un certain virus n’ait pas saisi la plaisanterie.

Et cela lui sied à merveille. Dans la conversation comme à l’écrit.

Photo : © Chantale Lecours

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