Maxime Olivier Moutier : Pour l’amour de l’art

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Maxime Olivier Moutier retourne en classe le temps de rédiger son Journal d’un étudiant en histoire de l’art, autofiction fildefériste qui fait le pari de la connaissance comme ultime filet de sécurité pour ne pas tomber dans le précipice de sa propre folie.

Maxime Olivier Moutier n’est pas un étudiant exemplaire. «Je travaillais plus à l’écriture du livre que sur mes travaux », confie-t-il au sujet du retour en classe qu’il effectuait en 2008, prémisse de son tout nouveau Journal d’un étudiant en histoire de l’art. « C’est difficile de reprendre l’université à 38 ans, c’est beaucoup de job, alors ces études-là se justifiaient parce que je m’intéresse à l’art depuis longtemps, oui, mais aussi parce que je savais que j’écrirais ce journal. Toutes proportions gardées, c’est comme si je m’étais dit: « Je vais aller dans un pays en guerre et je vais écrire sur ce que je vis. » »

Les habitués de l’œuvre de l’auteur de Marie-Hélène au mois de mars et de Lettres à mademoiselle Brochu retrouveront le narrateur à la fois acerbe et tendre, profondément animé par un espoir solaire et tiré vers le fond par l’ivresse d’un nihilisme noir, qui avait pris un pas de recul dans ses récents livres, plus tournés vers l’auscultation du désespoir ordinaire des autres. Retour à une forme d’autofiction rude et impudique, donc, à la différence près que Moutier a ici parfaitement choisi et prémédité la situation qui deviendrait sa matière première.

« L’hyperréalisme, c’est un terme que j’ai fait mien il y a quelques livres, quand je me suis mis à tripper sur la peinture hyperréaliste », explique-t-il au sujet du style sans fioriture qu’il préconise. « J’aime quand un artiste montre des gens et des choses qui sont vrais. Tout le Journal est fondé sur quelque chose que j’ai décidé de vivre précisément dans l’objectif de le raconter, mais de plus en plus, j’accepte de flyer, de transformer ça. J’ai l’impression que la partie fiction prend plus de place dans mon œuvre. »

Ce que raconte le Journal est à la fois entièrement contenu dans son titre et impossible à encapsuler en une seule phrase, tant Moutier adhère vraiment à la forme du diariste, tremplin tout désigné pour de longues et souvent passionnantes digressions sur l’art contemporain – le narrateur passe le plus clair de son temps à errer dans les galeries et à potasser des catalogues d’expositions. Tremplin tout désigné aussi pour d’acides commentaires sur une société anesthésiée par le bonheur carton-pâte du métro-boulot-dodo. Le romancier n’a jamais très bien su dompter l’essayiste chez Moutier, et vice-versa; c’est ce qui a souvent été sa plus grande paresse. C’est ici sa plus réjouissante qualité.

« Outre quelques exceptions comme Mathieu Arsenault ou Marc-Antoine K. Phaneuf, qui font éclater la langue, je ne m’intéresse pas beaucoup aux écrivains. À mon avis, c’est dépassé le roman. Il n’y a pas beaucoup d’écrivains qui sont aussi audacieux que des artistes en art contemporain. Chez ces artistes, je vois vraiment quelque chose de culotté, d’effronté. Ils sont très critiques de leur société. Je ne trouve pas que les livres qui s’écrivent sont très critiques. Les artistes, eux, n’ont pas peur de ne pas être aimés. Jeff Koons sait que ce qu’il va faire, ça va être controversé. Je côtoie un peu les écrivains, et dès qu’ils ont une mauvaise critique, ils pleurent, ils capotent. Je les trouve mauviettes. »

MOM punk
Père de famille pris entre les besoins de ses enfants et l’absence d’une épouse absorbée par son boulot, le narrateur du Journal d’un étudiant en histoire de l’art tente de s’arracher à son morne quotidien en se réfugiant de toutes ses forces dans les grandes œuvres qu’il apprend à fréquenter sur les bancs de l’UQAM. 

« Le personnage est malade de quelque chose, il est très fatigué, il est excédé par la vie qu’il a et il cherche dans l‘art et dans la connaissance une porte de sortie. On peut faire ça dans la vie. C’est ce à quoi nous invite la psychanalyse d’ailleurs : remplacer la souffrance par un savoir », précise celui qui travaille en tant que psychanalyste dans un centre de crise de Montréal.  

« Si tu prends une pilule, tu ne gagnes pas de savoir, mais si tu fais une analyse, tu sais plus de choses sur ce qui t’arrive. En même temps, il y a un sacrifice à faire, parce que tu souffres moins. En psychanalyse, arrêter de souffrir, c’est un sacrifice, parce que la souffrance est aussi une jouissance. Arrêter de souffrir pour te bouger le cul, ça demande un effort. Le personnage dans le Journal va mal, mais il se déplace, il essaie de voir le monde autrement. En étudiant, il voit l’architecture et l’histoire différemment. On a ce pouvoir là de transformer notre vie par l’apprentissage. »

En montrant la petite révolution personnelle dont l’art allumera la mèche dans le cœur d’un homme, MOM aurait-il écrit son livre le plus politique? À l’heure de l’austérité, son Journal n’est pas sans donner l’impression d’un exemple brandi à la face de ceux pour qui la musique, le théâtre et les musées relèvent du luxe. Alors que les Athéniens se demandaient comment vivre une bonne vie, comme le rappelle le personnage de Moutier, que se demandent les Occidentaux en 2015? « Peut-être que les humains ne se posent pas assez la question de comment être un bon humain, comment bien mourir. Peut-être qu’on manque de culture, de savoir qui nous aideraient à être plus heureux. Ça explique peut-être une partie de nos souffrances postmodernes, qu’on vive largement sans culture. »

Bien qu’il plaide la fiction, Moutier provoquera sans doute l’indignation chez les féministes ou même dans son propre couple, peut-on du moins supposer en traversant les nombreux paragraphes où son alter ego ne se comporte pas exactement comme le petit mari parfait.

« C’est une œuvre d’art, pas un témoignage, martèle-t-il. Je suis un écrivain punk, j’aime le sacrifice que ces gens-là font pour arriver à leur résultat. Quand Gina Pane [importante figure de l’art corporel] se scarifie le bras ou le visage avec des lames de rasoir, on peut tous se demander ce que sa mère pense de ça, mais on s’en fout. La littérature va au-delà de ça. Il y a la vie de père de famille que je mène et il y a une œuvre que j’écris en parallèle. Je ne fais pas de compromis là-dessus, et ça m’amuse de voir la réaction des gens. Je pense que mes livres sont des performances. J’y mets beaucoup de mon corps. Il y a un véritable enjeu, un risque. »

Crédit photo : © Sylviane Robini

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