La copropriétaire des Éditions de Ta Mère signe avec Après Céleste un troisième roman tout aussi enveloppant que ses deux précédents (Partir de rien, La remontée). Son personnage au nom prédestiné, Dolores, trimballe sa douleur de la perte jusqu’au village de son enfance, où elle se réfugie, comme un animal le ferait pour panser ses plaies, dans ce lieu entouré de forêts. Elle cherche à fuir ses pensées, mais une voisine de 8 ans et une autre d’un âge avancé se placeront sur sa route pour la pousser à avancer. Le roman s’articule autour d’un drame personnel, que plusieurs femmes taisent pourtant : avoir porté en leur ventre une vie qui n’a pu être mise au monde. Puis, il se termine sans crier gare sur une explosion silencieuse d’émotions. Entre les deux, un chemin qui, tranquillement, mène à la guérison. On n’a pas prononcé son nom encore assez souvent : Maude Nepveu-Villeneuve, c’est une autrice qu’il faut lire absolument.

L’héroïne d’Après Céleste partage un trait commun avec celle de votre précédent roman, La remontée : elles se retrouvent toutes deux dans un village éloigné, menant, un peu malgré elles, une quête intérieure pour mieux accepter un deuil. Qu’est-ce qui vous inspire dans le fait de ramener vos personnages à une géographie liée au passé?
Dans les deux cas, les personnages se retrouvent surtout dans des villages imaginaires, et c’est ce qui compte le plus pour moi : ça me permet de me libérer des contraintes du réalisme, dans le cadre duquel j’arrive mal à créer. Pour ce qui est du lien avec l’enfance et le passé, je pense que la quête intérieure pour affronter une épreuve passe souvent par un retour à ce qui compte le plus pour nous, à ce qui nous construit, et donc au passé. Comme pour beaucoup d’auteurs, les lieux de mon enfance font partie de ma mythologie personnelle et, en retournant dans le passé de mes personnages, je retourne aussi dans le mien.

Dans le communiqué accompagnant votre livre, on lit ceci : « C’est le livre que Nepveu-Villeneuve aurait voulu lire dans l’épreuve, comme un dessin animé pour adultes, triste sans être larmoyant, comme un Miyazaki qui parle de fausses couches. » À défaut d’avoir lu un tel livre lorsque vous en auriez eu besoin, l’écriture d’Après Céleste a-t-elle fait œuvre de baume pour vous?
Absolument. J’ai fait une fausse couche environ cinq ans avant l’écriture de ce livre et j’ai tout de suite su qu’un jour, j’écrirais sur le sujet, parce que le tabou entourant le deuil périnatal dans la culture occidentale me préoccupait. J’ai fait quelques essais infructueux avant d’en venir à cette histoire-là, et je crois que ce qui a fonctionné était le fait que je l’aborde dans une optique de guérison plutôt que de colère ou de tristesse. Je peux dire que l’écriture d’Après Céleste a achevé mon propre deuil de la plus belle manière, c’est-à-dire en lui donnant un sens.

Les trois principaux personnages de votre roman sont des femmes (tellement attachantes!), de trois générations différentes. Vos précédents romans et votre livre jeunesse mettaient également en scène principalement des femmes, toujours en une sorte de sororité d’abord fragile, puis profonde, précieuse et libératrice. Donner une telle place aux femmes dans vos écrits est-il conscient? Et, en tant que professeure de littérature au cégep, selon vous, la place des femmes dans les romans québécois est-elle aujourd’hui adéquate?
Le choix de donner une voix aux femmes dans mes livres n’était pas nécessairement conscient au départ, mais il l’est devenu avec le temps, et je dirais même qu’il est fondamental dans ma démarche d’écriture. Dans une perspective féministe, je trouve essentiel de faire entendre par la littérature les expériences féminines qui sont souvent peu considérées, soit parce qu’elles sont vues comme trop intimes, soit parce qu’on en minimise l’importance. La sororité est pour moi quelque chose de salvateur, autant dans les livres que dans ma vie. Comme professeure de littérature, je trouve qu’on a encore tendance à voir la grande littérature comme étant celle des hommes blancs. Dans les romans québécois d’aujourd’hui, je pense que les femmes sont de plus en plus présentes, mais l’espace qu’on donne aux œuvres de femmes (et de personnes racisées) dans les médias et, surtout, la manière dont on en parle restent encore à améliorer.

J’ai appris que vous tricotiez beaucoup lorsque vous écriviez. Est-ce parce que l’acte d’écriture s’apparente à un combat livré avec vous-même pour obtenir le résultat souhaité?
Le tricot est quelque chose qui m’aide à « mijoter » mes livres, parce que ça m’occupe les mains tout en laissant mon esprit libre. Une fois que je suis rendue à m’installer devant l’ordinateur, l’acte d’écriture est très fluide — à condition de travailler sur le bon projet. Quand l’écriture est un combat, c’est signe que je m’en vais dans la mauvaise direction, que j’aborde les thèmes du livre de la mauvaise manière ou que ça n’a pas assez mijoté!

Sans dévoiler cette partie de l’histoire, car elle accueille merveilleusement les lecteurs dans un détour où ils ne s’y attendent pas, est-ce que la « résolution » de votre trame narrative avait été choisie avant même le début de l’écriture ou est-ce en cours de route qu’elle s’est imposée?
C’était présent dès le début, avant même que je connaisse le début de l’histoire et avant que tous les personnages soient déterminés. Je commence souvent à écrire à partir d’une image qui m’apparaît, et cette fois, c’était cette « résolution ». Je crois que mon passage par la littérature jeunesse [avec Simone sous les ronces] m’a en quelque sorte attirée dans cette direction.

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