Le 13 septembre, Maud Chayer partage sur Facebook des photos de bungalows de banlieue, accompagnées de la mention « J’aime les bungalows. Juste à les regarder, je peux imaginer mille histoires… Les banlieusards aussi sont très inspirants, à vrai dire. » Deux semaines plus tard arrivent en librairie À la foire et Au pavillon, deux microromans qui sondent avec une acuité chirurgicale la condition pavillonnaire de deux familles qui pourraient être vos voisins.

Maud Chayer vit en banlieue. Et la banalité de la vie qui semble s’y dérouler la fascine. « En banlieue, on croise souvent les mêmes personnes. Les gens ont tendance à tout faire dans leur quartier, autant le sport, les loisirs, l’école qu’aller au restaurant. On croise donc souvent les mêmes personnes, mais à des endroits différents. Et quand je croise quelqu’un à l’épicerie où à la bibliothèque avec des enfants, je ne peux m’empêcher d’imaginer ce qui remplit les “trous” entre les moments où je le vois, puis ceux où je ne le vois plus. » Si les gens qui y vivent donnent l’impression d’une vie parfaite, rangée, l’auteure sait que le tout est impossible. Voilà pourquoi, à travers son écriture, elle cherche la faille. « On ne peut pas s’empêcher de se demander ce qui se passe derrière la porte, à l’intérieur de la tête de ces gens. Je suis quelqu’un qui observe beaucoup les autres et j’adore imaginer leurs vies. »

Dans À la foire, la famille qu’elle met en scène passe une journée à la foire agricole. La chaleur d’une canicule qui perdure pèse, l’homme — personnage principal — ne supporte pas l’odeur de la ménagerie, les manèges sont bruyants, les Coors light rafraîchissantes, ses filles excitées par tout ce qu’il y a à découvrir. « Tout ce que j’y décris, je l’ai vu. Dans les endroits comme les foires ou les parcs d’attractions, les classes sociales se mélangent, et tout le monde est égal dans une file d’attente, ou devant une baraque à frites. Tout le monde est vrai », explique l’auteure. D’ailleurs, une brèche s’ouvre au moment où le père de famille croise « la femme de l’autobus », celle qu’il voit tous les matins dans l’express de 7h02, cheveux impeccables, escarpins jamais trop hauts ni trop voyants. Là, devant la miniferme, il la toise : minishort en jeans, Converses et t-shirt de Guns N’Roses. Il s’étonne lui-même d’être surpris, d’avoir cru que ce qu’il entrevoyait d’elle dans le transport en commun pouvait la définir entièrement… Mais qui sont donc ces banlieusards qui, même entre eux, se confondent?

L’écriture par les sens
Si Maud Chayer en est à ses premières armes en littérature pour adultes, elle avait déjà signé une trilogie jeunesse chez Boomerang, entamée en 2015 avec Plan vaudou. « J’ai essayé d’écrire autre chose que de la fiction, mais cela ne m’intéresse pas. Ce que j’aime, c’est raconter des histoires », explique celle qui a une formation en scénarisation et qui en garde visiblement une force pour décrire les actions de ses personnages, et pas uniquement leurs pensées ou leurs émotions. « C’est une approche que j’aime et que j’essaie d’avoir en littérature. Si, dans les microromans, l’action est concentrée, concise, j’aspire aussi à une écriture plus minimaliste », ajoute-t-elle.

Et elle réussit son pari avec brio, nous faisant ressentir la chaleur, les malaises, les tensions, dans une fine écriture, toujours juste. Lorsqu’on le lui mentionne, elle explique qu’elle aime bien donner des détails qui permettent au lecteur de se sentir immergé dans l’histoire : « Je crois qu’on s’identifie plus facilement au personnage si on comprend comment il se sent, physiquement. La chaleur, en plein milieu d’une foule, ça affecte notre bien-être, ça influence notre humeur, ça exacerbe nos sentiments, tout le monde a déjà ressenti ça. C’est comme la douleur physique, ou une émotion forte, un mal de cœur : ce sont des points de contact avec le lecteur, des moments où il peut se dire “je sais ce que ça fait”. »

Ainsi, la canicule est un fil conducteur entre les deux microromans, nous laissant le loisir d’imaginer que les deux histoires se déroulent dans deux familles — voisines, pourquoi pas! — durant la même période. Dans Au pavillon, le lecteur suivra le protagoniste — toujours un homme — de son lieu de travail à sa maison, où, par bonheur, il y a une piscine pour affaiblir la puissance de la canicule. Mais sa fille refusera de s’y baigner. C’est qu’à 9 ans, elle a ses premières règles, un événement qui viendra bouleverser visiblement davantage ses parents que la principale concernée. « L’idée m’est d’abord venue par la mère. Voir sa fille devenir pubère la renvoie à son propre vieillissement. Je me suis demandé quel effet cette puberté a sur le père. Quand la puberté arrive à l’âge habituel, les parents ont le temps de se préparer, ou en tout cas, s’y attendent. En la faisant survenir prématurément, j’ai troublé la donne et la réaction des parents s’en trouve décuplée », explique celle qui a brillamment joué ses cartes pour perturber la quiétude d’un été qui s’annonçait sans écarts.

Innover dans la forme
Impossible de passer sous silence le format. Deux toutes petites plaquettes, l’une fuchsia qui possède cinquante-deux pages et l’autre, vert pomme, qui en a six de plus. Des microromans, donc, qui ne sont ni de longues nouvelles ni des romans écourtés, seulement des histoires qui n’avaient besoin que d’une cinquantaine de pages pour bien faire leur effet. Au Québec, voire dans la francophonie, cette forme est peu commune et la voilà donc vivement rafraîchissante. « Le microroman s’inscrit bien dans l’ère du temps : il se lit rapidement, il est accessible, facile à trimbaler, et il offre une expérience en soi », exprime l’auteure, qui voit donc ses deux histoires prendre place dans la collection « Sauvage », d’Annika Parance Éditeur, qui publiait jusqu’alors des écrits courts sous la forme de poésie et de recueils de nouvelles.

Maud Chayer explique que le format s’est imposé de lui-même, lié à une contrainte : celle de ne pas avoir le temps de se consacrer à un roman, à tout ce qu’un 300 pages nécessite de relecture et de retravail. « Pourtant, explique-t-elle, l’histoire que je voulais raconter ne convenait pas à la nouvelle. J’ai donc choisi un entre-deux, et, une fois la première histoire bouclée, il m’a semblé que ce format convenait à mon style d’écriture et au rythme de mes personnages. En décidant d’écrire une deuxième histoire sur ce modèle, je savais déjà que les deux se répondraient et j’ai joué avec cela. » Par ailleurs, elle avoue s’être dit qu’une seconde histoire pourrait s’avérer un bon argument pour qu’un éditeur s’intéresse à son projet.

Mais entre vous et moi, un seul de ses romans — que ce soit Au pavillon ou À la foire — avait, malgré sa faible épaisseur, assez de poids pour se rendre jusqu’à vous. En avoir deux, c’est de la gourmandise fort appréciée!

Photo : © Julie Tremble

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