Au début du XXIe siècle, il racontait les tribulations sentimentales de son narrateur « aussi romantique qu’un bloc de béton au bord de l’autoroute […] qui rencontre seulement des filles qui trippent sur Alexandre Jardin » dans Échecs amoureux et autres niaiseries, son premier livre. Voilà que l’écrivain montréalais Matthieu Simard boucle la boucle de quinze excitantes années de labeur, d’ailleurs bien reçues par ses fans et la critique, en faisant paraître Une fille pas trop poussiéreuse. Lui, clairement, il ne s’empoussière pas, même en imaginant une fin du monde. Au contraire.

J’étais jeune journaliste nouvellement embauchée au Journal de Montréal quand je l’ai rencontré la première fois, accoudé au comptoir du bar Zinc sur l’avenue du Mont-Royal. C’était en 2004. On pouvait encore fumer à l’intérieur. J’ai dû l’attendre la clope au bec. On ne s’était pas texté avant pour confirmer notre entretien. On avait tout organisé avec nos lignes fixes de bureau comme deux bons produits de la « vieille » génération Y — presque X. Il travaillait dans une agence de publicité et venait de passer plusieurs soirées d’affilée à terminer l’écriture de son bouquin après les heures de bureau, à l’abri des regards. Cette année-là, il avait même manqué son party du Nouvel An pour en venir à bout. Il s’était fait la promesse d’y arriver. C’était l’époque où publier pouvait ressembler à l’ascension de l’Everest. Très peu d’élus. Matthieu Simard avait été choisi.

« Je procrastine à mort dans la vie, c’était le premier projet de toute ma vie que je réussissais à terminer sans avoir une pression extérieure, confesse l’auteur du quartier Rosemont. D’avoir accompli ça… ouf. Sérieux, je ne sais pas comment j’ai fait, je fonctionne tellement aux deadlines, encore aujourd’hui. Et si je veux terminer un livre, il faut qu’un éditeur l’attende, qu’il y ait un engagement formel… »

Depuis, il y a eu une maison, une conjointe sérieuse avec qui il a eu deux enfants, l’arrêt de la pub, l’écriture à temps complet, l’adaptation au grand écran de son roman Ça sent la coupe (dont il signe aussi le scénario), le décès de son papa, huit autres titres, et j’en passe. La vie, la vie… Revoilà qu’on discute à nouveau d’écriture, d’amour, de deuils. Comme si c’était hier. Le légendaire Zinc a depuis fermé ses portes. On se retrouve donc au bout de nos portables de quarantenaires aux traits tirés, un peu à la course, un peu prisonniers d’horaires de pigistes, de vie de famille, alléluia. Mais heureux. Même si.

C’est finiiiiiiiiiii!
Même si Une fille pas trop poussiéreuse, son neuvième livre en carrière, n’est pas « hop la vie » en apparence. Simard rit. « Ouain… C’est une sorte de réflexion sur la fin de l’humanité. Mon personnage doit faire collectivement le deuil du monde entier. » Gloup. Or, celui qui signe aussi de nombreux scénarios pour la télé et le cinéma a le sens du rebondissement, des propos qui nous désarçonnent, des blagues qui remontent quand ça devient lourd. « Oui, il y a de l’humour pour alléger. C’est expliqué que mon héros tente de faire des jokes pour ne pas penser aux affaires plus tough. »

Au fil des pages, grâce et atrocités se marient avec une superbe indéniable : « Nous aurions pu, avant, être un tableau de chambre de motel. Assis côte à côte à contre-jour comme si nous nous connaissions depuis toujours, sur la plage comme les couples d’autrefois qui venaient respirer l’océan devant un coucher de soleil, comme les fins de soirée chaudes qui se terminaient en orgasmes simultanés sur du Kenny G, comme la douceur du sable qui massait chaque pore, et l’odeur, et le chant des vagues, et le goût d’une lèvre trempée dans la coupe de champagne. Comme. Mais nous sommes les débris d’un effondrement », écrit-il dès les premières pages.

Comme dans les nouvelles d’Échecs amoureux et autres niaiseries il y a quinze ans, Simard jette ce même regard acide et doux à la fois sur les relations sentimentales de ses contemporains, ses désirs, lubies, fantasmes et obsessions. Au départ, il voulait aussi récupérer les mêmes histoires, les transformer un peu, jouer avec elles, célébrer de cette manière particulière ce quinzième anniversaire de lancée littéraire. « J’aime aussi me donner des contraintes et des défis liés à certaines histoires et à leur construction. Finalement, je me suis éloigné de ce concept-là pour toutes sortes de raisons. Les titres de chapitres, eux, sont restés les mêmes… Il s’agit de petits clins d’œil pour ceux dont ce livre-là serait frais en mémoire. Pour les autres, ça ne fait aucune différence », note-t-il.

Endeuillé un jour…
Au-delà de l’amour, il y a, encore et toujours chez lui, le décryptage du large spectre du deuil : « Dans l’écriture, j’ai exploré le deuil amoureux, le deuil d’un enfant, le deuil de souvenirs, j’avais envie de pousser ça plus loin encore avec le deuil de soi comme personne, mais aussi de l’humanité en général, de ce qu’on est. Cette fois, j’ai juste poussé de plus en plus loin ma réflexion et ça m’a amené à parler de fin du monde », exprime-t-il.

Contrairement à d’autres professions, quand on est écrivain, vieillir, ça paye ! Pas financièrement — diantre, non! —, mais en maturité, certes, et en vécu, pratique, confiance, expérience… Tout s’allie pour rehausser la qualité de l’écriture, la remonter de quelques crans. « Je pense que j’ai évolué comme auteur, je n’écris plus de la même façon et je suis fier de ce que j’ai accompli à travers cette quinzaine. Je ne suis pas devenu paresseux en tout cas », raconte celui qui réussit même à gagner sa vie avec l’écriture, notamment avec les scénarios et quelques contrats de rédaction ici et là.

Je ne peux qu’acquiescer. Matthieu Simard ne s’est pas laissé empoussiérer. La fin du monde le guette peut-être, comme nous tous. En attendant, il écrit pour rêver mieux et oublier. Continuer d’aimer aussi.

 

Photo : © Julien Faugère

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