Après Griffintown, Marie Hélène Poitras propose La désidérata, un conte cruel intemporel envoûtant, campé dans une contrée imaginaire, un pays des merveilles, pas si merveilleux, parsemé de chansons, de secrets et de femmes aux destins tragiques. À Noirax, le domaine de la Malmaison semble figé dans le temps comme un décor de théâtre. Mais l’arrivée d’Aliénor pourrait bousculer l’ordre établi et remuer les souvenirs du passé. L'écrivaine a répondu à quelques-unes de nos questions.

La désidérata - Marie Hélène PoitrasCette histoire a été inspirée par un voyage en France. Comment s’est-il immiscé dans votre écriture?
C’est un voyage effectué dans le cadre du Prix France-Québec, reçu pour mon roman Griffintown, à travers la France, du nord au sud avec plusieurs arrêts dans des villages que je ne connaissais pas et qui m’ont charmée comme Astaffort et Bourgnac. Je suis revenue de là avec des goûts décadents dans la bouche, des idées de personnages inspirés des rencontres que j’y ai faites et aussi par les décors et les lieux où j’ai séjourné, par certains mots et les accents que j’ai entendus là-bas. J’ai eu envie de répondre à toute cette stimulation des sens par l’écriture.

Ce roman rend hommage à la création et semble avoir été un terrain de jeu pour créer justement. Est-ce que vous vous êtes permis plus de liberté dans ce roman?
Oui, des connexions inattendues se faisaient tout au long de l’écriture et je les ai acceptées. J’ai suivi un drôle de filon, à la fois étrange et fantasque. Par moments, je me suis mise en danger dans la création en ne sachant pas comment j’allais me dépêtrer de certaines situations, en faisant confiance que je trouverais. C’est un roman qui a été écrit sur une longue période, environ six ans, alors j’ai eu beaucoup de temps entre les étapes d’écriture pour trouver comment défaire certains nœuds, tisser l’intrigue et mener l’histoire vers une finale.

Pourquoi avez-vous eu envie de parsemer le récit de comptines?
Le récit est un roman, une fable ou un conte. L’action ne se situe pas au premier niveau de réel et l’instance narrative est ambiguë. Les personnages dansent, s’empiffrent et fredonnent, mais au-dessus de leur tête pend une épée de Damoclès. J’ai trouvé un écho direct à cette innocence teintée de noirceur dans les chansons pour enfants. On en connaît souvent que les deux premiers couplets et le refrain, mais quand on en découvre le texte complet, il y a de quoi tomber en bas de sa chaise! Ça faisait un bel écho à mon histoire et ça donnait d’une certaine façon un indice au lecteur ou à la lectrice.

« Le monde ne m’apparaît dans toute sa richesse que lorsque j’écris », peut-on lire dans le roman. Que vouliez-vous dire exactement? Que représente l’écriture pour vous?
Écrire me permet de retenir un peu plus dans ma main ce que je n’ai pas envie de laisser fuir. J’ai parfois envie d’inventer des parfums, de fixer des couleurs et de les regarder se déployer – or je ne suis pas peintre, ni parfumeuse. Je peux faire tout ça dans l’écriture, et même étirer le temps ou le compresser. Je ne sais pas comment expliquer cette alchimie, mais c’est lorsque j’écris beaucoup que je me sens le plus connectée au monde. Comme si je percevais la vie avec plus d’acuité, une sensibilité accrue. Quand je suis dans une période où l’écriture est rare et éloignée de moi, je finis par avoir l’impression de perdre le nord. L’écriture représente pour moi un pôle magnétique; elle m’attire, m’obsède, me déstabilise.

Photo : © Charles-Olivier Michaud

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